Analyse – Une guerre dans tous ses états (d’urgence) par Marie Bertrand

« Une guerre dans tous ses états (d’urgence) » par Marie Bertrand, Directrice conseil chez Antidox.

Ce lundi 16 mars 2020 à 20 heures, Emmanuel Macron utilisait, sur un ton martial, six fois la même expression : « Nous sommes en guerre ».

Depuis ce jour, « couvre-feu » et « état d’urgence » sont devenus notre lot quotidien en passant dans le langage courant.

Pour cet acte 2 du confinement, sommes-nous toujours en guerre ? Notre ennemi est-il toujours le même ? L’actualité nous a-t-elle rattrapé pour nous rappeler que ce dernier est protéiforme et qu’il réside en notre sein ? Sommes-nous en train de mener deux guerres à la fois, l’une relevant de la santé publique et l’autre du terrorisme ?

Les réseaux sociaux ne s’y sont pas trompés. Sur le mois de mars, ce sont plus de 80 000 mentions qui ont été comptabilisées autour des termes « Guerre sanitaire » versus 65 125 mentions des termes « Guerre France » alors qu’en ce mois d’octobre « Guerre sanitaire » chute à 6 319 contre plus de 122 000 mentions pour les termes associés « Guerre France ».

Ainsi, l’heure n’est plus à la fameuse injonction « Restez chez vous », à la mobilisation de tous pour soutenir le personnel en première ligne. Ces jours-ci, le hashtag « OnApplaudit » a été peu à peu remplacé par de nouveaux mots d’ordre tels que #StopDictatureSanitaire, #AlerteMaximale ou encore #JamaisSansMonMasque. Du mois de mars au mois d’avril, #OnApplaudit a fait l’objet de plus de 94,5k mentions. Depuis le mois de septembre, il n’a été mentionné que 92 fois dans l’écosystème digital (selon l’outil d’analyse TalkWalker). Notre mémoire collective se joue de nous et parfois à courtterme, dans cette immédiateté où une information en remplace une autre, nous condamnant tous à une forme d’amnésie collective.

Dorénavant, l’heure est à la responsabilisation de chacun pour vaincre collectivement cette crise sanitaire. Un seul mot d’ordre a été transmis ce mercredi 28 octobre : que la vie économique perdure dans le respect des consignes sanitaires, et ce au détriment de notre vie sociale et de certains secteurs économiques estimés « non essentiels ».

La seconde « guerre » est entrée brutalement dans notre vie, ce 16 octobre, comme une piqûre de rappel, avec la flambée d’actes de terrorisme et l’assassinat du professeur Samuel Paty. La réaffirmation haut et fort des fondements de notre République par le président de la République a provoqué l’ire et les appels aux meurtres de Français de la part d’une partie du monde arabomusulman. Et la barbarie s’est répétée, dans toute son horreur, ces derniers jours, à Nice. Cette guerre s’infiltre, s’immisce dans notre débat. Elle touche aussi les plus jeunes et tend à nous opposer en affectant durablement l’esprit de solidarité dont ont fait montre les Français depuis le mois de mars. Le creuset de cette solidarité s’est d’ailleurs fissuré par l’exposition répétée à des fakes news et à des messages de défiance, insidieusement propagés par des prêcheurs de haine à des cibles crédules et facilités par des plateformes peu regardantes.

L’état d’urgence sécuritaire succèdera-t-il à l’état d’urgence sanitaire ? A la normalisation des dispositifs d’exception et aux bouleversements sociétaux si profonds et soudains auxquels nous devons faire face, il est essentiel d’en refuser les excès, d’accepter les visions qui s’opposent et de préserver plus que jamais la force et la richesse de notre débat démocratique.

Dans son échange épistolaire avec Albert Einstein, en 1933, rassemblé sous le titre « Pourquoi la guerre ? », Sigmund Freud esquisse une réponse résolument actuelle : « tout ce qui promeut le développement culturel œuvre du même coup contre la guerre », en attendant que les hommes deviennent pacifistes.

Ce lundi 16 mars 2020 à 20 heures, Emmanuel Macron ajoutait « Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, et qui progresse ».

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