« Flash crash du bitcoin : les contraintes du dirigeant aujourd’hui »

Moins 30% en quelques jours : le récent « flash-crash » du bitcoin, la plus connue des monnaies dites virtuelles, sont révélateurs du contexte stratégique contemporain du dirigeant, marqué par l’interconnexion croissance du réel et du virtuel. En mai 2021, Elon Musk indique dans un tweet que « Tesla a suspendu les achats de voitures en bitcoin. Nous sommes inquiets concernant le recours de plus en plus important aux combustibles riches en carbone pour miner des bitcoins et ses transactions, surtout le charbon qui a les pires émissions de tous les combustibles ». Alors qu’il avait auparavant lourdement soutenu les monnaies virtuelles et participé à leur hausse, il tourne en dérision une autre monnaie, le Dogecoin, quelques jours plus tard, dans le show grand public Saturday night Live. Dans la foulée, la Chine a rappelé son hostilité aux monnaies virtuelles, jugées trop spéculatives, trop liées à des activités criminelles, tout en accélérant par ailleurs les préparatifs pour lancer sa propre monnaie virtuelle. Tweets, shows, starification, Etats, technologies complexes, volatilité, réactivité de la communication, changements rapides de situations, voici le nouveau terrain de jeu du dirigeant. Ne croyons pas qu’il ne s’agisse ici que de péripéties vécues sur les secteurs avancés des technologies. Qu’il s’agisse de bâtiment, de santé, d’alimentation ou de matière première, c’est bien sur le même terrain escarpé et évolutif qu’évolue tout dirigeant : le champ de la stratégie s’élargit à ce que certains ont nommé l’« immatériel ». Mais pour souligner l’interconnexion de cette dimension avec la réalité physique et garder en mémoire que le virtuel est bien réel, il conviendrait davantage de l’appeler « soft », en référence à la « soft law » ou au « soft power ». Cette part de la stratégie a déjà été théorisée largement il y a plus de 20 ans, en Russie, en Chine (la fameuse guerre hors limite), aux Etats-Unis ou en France (la géoéconomie), et investie largement par les entreprises et les Etats les plus avancés. Y compris dans son volet militaire : alors que le regard commun est tourné vers la Russie et la Chine, une récente enquête de Newsweek parue le 17 mai documente l’existence de pas moins de 60 000 militaires américains sous fausses identités numériques, dont la mission consisterait à générer des contenus d’influence en ligne pour un budget annuel estimé à 900 millions de dollars.

Sur ce nouveau terrain stratégique, le dirigeant est confronté à au moins trois contradictions, qu’il doit parvenir à résoudre. La première a trait à l’écart entre la nécessaire expression d’une raison d’être qui dépasse l’intérêt économique et l’impératif financier, incontournable. Cette ligne de partage a été largement évoquée lors de l’éviction d’Emmanuel Faber de la direction de Danone, sous les traits faciles du combat entre la vertu et le pragmatisme, mais la question est plus épineuse. Chaque dirigeant de collectif public ou privé est, bien sûr, attendu sur les aspirations, les valeurs, les rêves qu’il peut intégrer au collectif et ces rêves ne doivent pas l’empêcher de maîtriser de façon approfondie les spécificités techniques et économiques de son secteur d’activité. Comment corréler les deux ? Dans l’affaire du bitcoin, Elon Musk ou le régime chinois parviennent assez bien à aligner l’intérêt et l’aspiration, la maîtrise technique et les valeurs, le réel et l’idéal. Dans le cas de la Chine et du bitcoin : la protection de l’épargnant et la promotion de la monnaie étatique. Bref, pour tout dirigeant, réussir à articuler et diffuser largement une vision qui aligne le modèle économique et la raison d’être est absolument décisif. Disposer d’une capacité à peser dans le débat public l’est tout autant.

La deuxième contradiction oppose le court et le long terme. A l’âge des aspirations et dans un monde de progrès technologique, les « moon shots » de Google, ces engagements ambitieux et risqués dans un projet technologique, se sont généralisés : pour les Etats-Unis et la Chine, l’heure est à la conquête de Mars, pendant que l’Europe reste en retrait. Ces ambitions fortes, qu’il faut oser définir et formuler, ne doivent pas empêcher de gérer le quotidien, et de donner un éclairage sur décisions et ruptures de court terme de façon précise et maîtrisée. Quand le PDG de Total, Patrick Pouyanné, tweete en 2018 que « compte tenu du contexte national, tous les salariés de Total et de ses filiales en France bénéficieraient d’une prime exceptionnelle de 1.500 euros », il engage l’entreprise, ce qui peut conduire certains salariés à réclamer la « prime Macron » devant les prud’hommes. Un exemple révélateur de l’importance stratégique que revêt la prise de parole d’un dirigeant sur les réseaux sociaux, qui engage avec elle la marque, l’entreprise et les collaborateurs. Les réseaux sociaux imposent de communiquer rapidement sans obérer le moyen et long terme.

Enfin, le dirigeant doit aligner les logiques partenariales et les logiques de domination ou de rapport de force. La récente annonce du gouvernement en termes de cloud souverain met en lumière cette articulation. Bruno Le Maire a annoncé que dorénavant, pour obtenir le label Cloud de Confiance, « les serveurs doivent être localisés en France et les entreprises les opérant doivent être de droit français et contrôlés par des capitaux français ». Les principaux opérateurs de cloud américain, dont les quatre plus gros détiennent actuellement 71% des parts de marché du cloud européen au premier semestre 2020 selon KPMG, devront licencier leurs services à des acteurs français. Par cette démarche pragmatique, enterre-t-on l’idéal de souveraineté en actant la domination américaine, ou bien permettons-nous aux techs françaises de s’adapter et de se développer, OVH Cloud et Outscale de Dassault Systèmes en tête ? C’est dans la compréhension approfondie des alliances nécessaires qui ne constituent pas des renonciations de long terme que se situe la finesse des approches stratégiques contemporaines. A cette fin, il est indispensable de bien comprendre les évolutions concurrentielles et de régulation, mais aussi de savoir expliquer clairement les enjeux aux régulateurs. Les techniques de l’intelligence économique et des affaires publiques sont ici décisives.

Aider les dirigeants à surmonter ces trois contradictions est au cœur du modèle économique d’Antidox. Cela explique l’acquisition, annoncée mardi, de l’agence de communication ComCorp : spécialisée dans la production de contenu, la communication des dirigeants, les relations avec les publics dans les secteurs fondamentaux de l’économie, elle prolonge nos capacités dans la structuration et la diffusion de la vision des dirigeants, notamment dans les espaces numériques.

Par le Comité de direction d’Antidox : Xavier Desmaison, Marie Bertrand, Solène Collat, Nicolas Ruscher et Chloé Teyssou