« D’encouragement à insulte, le phénomène « Let’s go Brandon » emballe les Etats-Unis et rassemble les républicains anti-Biden » par Benjamin Guérin

Trois mots suffisent pour enflammer les foules et devenir un slogan viral rassemblant tout un parti politique. Le slogan «Let’s go Brandon », synonyme d’une injure visant les démocrates et le président des Etats-Unis Joe Biden, a eu un tel impact qu’il  s’est retrouvé en seulement quelques semaines dans les têtes et sur les vêtements du pays entier.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Le 2 octobre 2021, Brandon Brown, pilote automobile américain de NASCAR remporte une course lors des Xfinity Series, à Talladega en Alabama. Un jour à marquer d’une pierre blanche pour le pilote de 28 ans qui signe là sa première victoire dans cette catégorie. Il est alors logiquement sollicité par les médias pour donner ses impressions sur sa course, notamment devant Kelly Stavast de NBC Sport. Euphorique, Brandon savoure sa victoire et prend son temps pour répondre aux questions de la journaliste, tandis que des chants commencent à s’entendre en tribunes : « F*** Joe Biden ! F*** Joe Biden ! ». La journaliste, dans l’excitation, comprend de travers le slogan et annonçe en direct à la télévision américaine que les spectateurs scande le nom du vainqueur du jour « Let’s go Brandon ! ».

De nombreuses questions se posent alors : La journaliste a-t-elle souhaité amoindrir la portée de ces chants hostiles sans avoir à prononcer le « F word » ? Les médias mentent-ils à la population en déformant et cachant la vérité ? Quelles seront les retombées médiatiques face à cette incompréhension ?

La scène devient virale et le slogan est repris très rapidement dans tout le pays, loin des circuits de course et des gradins.

Figure 1 – Résultat des mentions « Let’s go Brandon » sur Twitter depuis le 20 septembre 

Figure 2 – Résultat des mentions « Let’s go Brandon » sur tous les médias hors Twitter depuis le 20 septembre

Une réappropriation linguistique des opposants

Ce n’est pas la première fois qu’un « buzz » comme celui-ci voit le jour dans l’univers politique et social. En France, de nombreux slogans ont été détournés à commencer par la célèbre phrase « Mangez des pommes » de Jacques Chirac, satiriquement reprise par les Guignols de L’info sur Canal+ qui marquera toute la durée de sa campagne présidentielle de 1995. Dans un autre registre, bien plus malheureux, le slogan « Je suis Charlie » a marqué ces dernières années. L’expression, émise en premier par Joachim Roncin, avait simplement pour signification d’apporter son soutien envers les victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo. Réadapté, détourné voire même copié, ce slogan a fait le tour du monde pour devenir un symbole de rassemblement international.

« Let’s go Brandon ! », parti d’une erreur de compréhension, amuse l’opposition et est réutilisé à outrance par les républicains, devenant un véritable cri de ralliement des anti-Biden.

Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les hautes sphères politiques, les élus républicains ne manquent pas d’afficher leurs intentions avec le slogan « Let’s go Brandon ! ». Quand Bill Posey, élu en Floride, agrémentait son intervention à la Chambre des représentants par un « Let’s go Brandon ! » le poing levé, Jeff Duncan, lui, se présentait avec un masque anti-Covid avec ces inscriptions.

Cette réappropriation ne s’arrête pas là et est détournée de façon encore plus poussée par Lauren Boebert, qui se targuait début novembre lors de la venue de Donald Trump au Colorado, d’une robe rouge floquée du slogan. Afin de pousser le phénomène encore plus loin, l’élue s’est même fendue d’un tweet avec l’habile commentaire « Ce n’est pas une phrase, c’est un mouvement ! ».

En effet, la rapidité à laquelle cette formule a été propagée témoigne de la baisse de popularité de l’actuel Président des Etats-Unis, qui chute dans les sondages. Joe Biden n’a pour l’instant pas réussi à faire passer tous ses plans de relance post-Covid, malgré un projet de départ ambitieux. Et ce n’est pas la fébrile riposte des démocrates (avec le #ThankYouBrandon) qui réussit à calmer la rancœur et la créativité des opposants au pouvoir.

Figure 1 – Résultat des mentions #ThankYouBrandon sur Twitter depuis le 27 septembre

Des ficelles désormais classiques pour la guérilla politique : respect formel de la loi, moquerie, complotisme

Ce mouvement, devenu viral, a bousculé l’ensemble des Etats-Unis. Tout d’abord, les chants « F*** Joe Biden » entendus dans des manifestations et des prises de parole en public du président ont laissé place à des chants « Let’s go Brandon », considérés comme une version PEGI et donc moins grossière que la précédente. Malgré cela, ce slogan a été interdit d’antenne par un grand nombre de médias.

Dans son fameux Rules for Radicals (Être radical : Manuel pragmatique pour radicaux réalistes) publié en 1971 et qui a inspiré plusieurs générations d’activistes et de guérilleros politiques, Saul D. Alinsky notait déjà que le ridicule était l’arme la plus puissante. Dans sa règle 5, il précise : « Ridicule is man’s most potent weapon. It is almost impossible to counterattack ridicule. Also it infuriates the opposition, who then react to your advantage.” Et dans sa sixième, il note:  » A good tactic is one your people enjoy.”

Cette histoire met également en exergue les impressions hostiles qu’a une grande partie de la population américaine envers les médias traditionnels. En effet, selon une étude proposée par Gallup, la confiance des Américains dans les médias d’informations a diminué de 4% comparé à l’année précédente, passant à 36%. D’où le schéma à vocation complotiste autours de cette journaliste de NBC Sport qui fait une erreur en direct, alors que l’injure envers Joe Biden est très explicite. Cette imposture passe mal et est considérée comme un fait évident que les médias ne sont pas dignes de confiance.

Un modèle économique qui renforce le buzz

Face à ces médias traditionnels, l’expression spontanée sur les réseaux sociaux est mise en avant : plus de 90% des mentions de ce sujet ont été exprimées sur Twitter. La force de Twitter étant dans la rapidité de transmission d’information et dans la possibilité de converser avec les auteurs, un très grand nombre d’internautes (républicains ou non) se sont emparés du sujet pour exprimer leur ressenti.

Société de consommation oblige, le slogan a eu droit à sa dose de détournements et de parodies. Nombre d’électeurs républicains ont ainsi créé des produits dérivés (T-shirts, mugs, casquettes, drapeaux et autres goodies) à l’effigie de Brandon, du slogan en lui-même et même de Donald Trump. Le mouvement inspire également des hommes politiques pour collecter des fonds grâce à ce thème et des journaux satiriques comme Babylon Bee pour la rédaction d’articles parodiques. Le grand vainqueur reste tout de même l’entreprise d’armes à feu Palmetto State Armory, fabriquant des fusils à trois crans 1.Fuck 2.Joe 3.Biden…

Preuve encore que le buzz (et la création) n’a pas de limite, le rappeur Bryson Gray a réalisé une chanson « Let’s go Brandon » s’inspirant évidemment du chant “F*** Joe Biden” lors de la course de NASCAR et est même devenu 1er des téléchargements sur Itunes fin octobre, dépassant Adèle et son single de retour.

Un grand gagnant ressort de cette histoire : le parti républicain américain et son leader Donald Trump, qui n’a pas manqué lui non plus de participer à l’éloge de Brandon et à railler Joe Biden sur Twitter. Un bon filon pour le parti de droite et un mauvais coup de projecteur pour les démocrates, qui se retrouvent une nouvelle fois en difficulté dans les sondages. Si la viralité s’est révélée importante, il est cependant fort à parier que ce mouvement s’estompera aussi vite qu’il est devenu omniprésent.

 

par Benjamin Guérin, Consultant chez Antidox