« Le métavers sera-t-il l’eldorado promis ? » par Emeline Invernizzi

Avant même d’exister en tant que tel, le métavers fait la une des médias. L’annonce phare par Mark Zuckerberg de renommer son entreprise Facebook en « Meta » et d’y investir des dizaines de milliards de dollars dans les prochaines années a projeté le métavers sous les feux de la rampe. En quoi cette nouvelle conception du monde virtuel peut-elle avoir un impact sur les business models et stratégies marketing des entreprises ?

Si le célèbre jeu Fortnite est pour le moment ce qui s’en rapproche le plus, le métavers peut se décrire comme la coalition entre les jeux vidéo en multi-joueurs et les réseaux sociaux, dans des « espaces persistants, partagés, en 3D dans un univers virtuels où les gens peuvent se réunir pour jouer, travailler et mener une vie sociale » (Roblox). Le métavers pourrait ainsi offrir des opportunités pour les utilisateurs et les entreprises, alors que Bloomberg estime déjà le marché actuel du virtuel à 600 milliards de dollars. Selon la société de capital-risque Epyllion, l’économie du virtuel pourrait ainsi atteindre 10 000 à 30 000 milliards de dollars dans la prochaine décennie.

Compte tenu de cet immense potentiel, plusieurs marques ont déjà cherché à se distinguer dans l’univers virtuel, surtout dans le secteur du luxe. Avec “Louis The Game”, Louis Vuitton a proposé un jeu vidéo interactif et immersif, afin de faire découvrir 200 ans d’existence, tout en permettant de gagner des NFT aux utilisateurs. Dolce & Gabbana a également remporté pas moins de 5,6 millions de dollars grâce à ses collections de NFT sur la plateforme UNXD. Si aujourd’hui les marques du luxe sont les plus virtuellement actives, d’autres secteurs commencent à s’y intéresser et à s’y essayer, comme l’immobilier ou encore le retail.

La crise sanitaire : un propulseur d’innovations numériques

Si la crise sanitaire a freiné bon nombre de secteurs, elle a accéléré l’essor de l’innovation dans le e-commerce. Depuis quelques mois déjà, les enseignes usent de leur créativité afin de développer le « Live Shopping », qui consiste à créer des vidéos dans un but commercial, grâce au partenariat entre entreprises et influenceurs. C’est ce à quoi s’est prêtée la marque Monoprix en octobre dernier, en diffusant en direct sur les réseaux sociaux une vidéo avec Flora Martinez et Mademoiselle Agnès, toutes deux expertes et influenceuses dans la mode. L’objectif pour l’enseigne du groupe Casino ? Développer les lives sur des thèmes différents (foire aux vins, cadeaux, maison…) afin de devenir une figure de proue dans le domaine.

Les chiffres exposés par Accenture sur le marché mondial du commerce confortent les acteurs dans leurs investissements sur les réseaux. Selon une étude, l’e-commerce mondial a déjà atteint les 5 000 milliards de dollars et cette somme devrait tripler d’ici à 2025. Un nouveau modèle économique emprunté aux méthodes de ventes chinoises, un pays qui excelle dans l’art du e-commerce. Selon les chiffres, 65 % des consommateurs chinois ont déjà acheté un produit grâce au live shopping. Plus impressionnant encore, 1,4 milliard d’euros de produits ont été vendus après le show organisé par l’influenceur Li Jiaqi, « le roi du rouge à lèvres », lors de la fête des célibataires sur le site d’Alibaba.

Le live shopping n’est pas la seule tendance du marché. Le phygital, qui s’est imposé petit à petit aux commerces traditionnels ces dernières années, en est aussi un exemple probant. Mêlant à la fois magasin physique et expérience digitale, le phygital, qui a été surnommé « new retail » par Alibaba, ne cesse de se développer pour offrir une expérience client/utilisateur toujours plus attractive.

Le métavers : l’innovation de rupture pour le e-commerce

Mais concrètement, que pourront faire les entreprises dans un univers virtuel ? D’après Mark Zuckerberg, à peu près tout. Participer à une réunion entre collègues, visiter une exposition artistique, créer un concert live, jouer à différents jeux, développer de nouvelles formes d’enseignements, participer à des compétitions ou des cours de sports… Vivre normalement, mais à travers un écran numérique, en somme. Le 31 janvier, Carrefour annonce son lancement sur la plateforme The Sandbox . « Nous allons développer des expériences dans The Sandbox avec des événements virtuels, des lancements de produits, l’utilisation de NFT » déclare Elodie Perthuisot, directrice exécutive e-commerce, data et transformation digitale. Si l’enseigne ne propose pour le moment qu’un panneau signé “Carrefour” sur un terrain virtuel, elle devrait toutefois déployer des projets dans les prochains mois. 

Certaines marques utilisent déjà des plateformes comme Minecraft pour leur communication RSE. En septembre, la Fondation Yves Rocher a lancé son opération « Minecraft #PlantForLife », qui permet aux 126 millions de joueurs de verdir aussi bien le monde virtuel que réel. En ce qui concerne la marque de sneakers Vans, le groupe VF Corporation a créé « Vans World Roblox Expérience ». Cette expérience rassemble les deux grandes passions de la marque, mais aussi de ses clients : le skate et les sneakers. Chacun pouvait faire skater son avatar, s’offrir une planche ainsi que personnaliser ses propres chaussures. Dans le même esprit que Vans, Nike a conceptualisé et réalisé son propre univers inspiré de son siège, Nikeland. Doté de showrooms et de terrains de sport, la marque en a aussi fait son terrain d’essai, en y dévoilant ses nouveaux produits. 

Pour les marques, ces plateformes sont une aubaine, et pourront laisser libre court à leur imagination pour créer de l’engagement autour d’elles. Elles ne seront plus confrontées aux barrières physiques, de temps ou de frontières. Elles seront capables de fédérer toute une communauté mondiale dans un seul espace.

Un rêve encore lointain

Mentions de « Nikeland » depuis son lancement. Après un pic de presque 7k mentions, l’engouement pour l’univers virtuel créé par Nike semble se dissiper avec le temps. 

Si pour certains la nécessité d’investir le métavers est une évidence, il faudra redoubler d’efforts pour créer des contenus attractifs et innovants, afin de fédérer et d’engager une communauté de manière pérenne. Il ne s’agira pas de faire une simple copie d’une boutique physique, comme dans le e-commerce traditionnel.

En revanche, les premières enseignes à s’essayer au métavers auront un avantage puissant, puisque les premières installées auront un retour d’expérience et un temps d’avance grâce au test and learn. De surcroît, elles auront beaucoup plus de facilités à innover et à se développer en même temps que la plateforme sur laquelle elles seront mises en place. Il est fort probable que les différents métavers changeront de jour en jour. Algorithmes, règles, nouveautés… Il faudra être extrêmement agile afin d’être à la pointe sur ces espaces numériques.  

Événements, créations et expérimentations de produits, développement d’une nouvelle économie… Le métavers offrira un immense terrain de jeu aux marques pour les années à venir. Cela représentera un enjeu capital de durabilité de l’entreprise, si toutefois le métavers connaît l’engouement escompté. Comme celles qui ont pris au sérieux le numérique, prendre ce nouveau tournant dans l’univers virtuel pourrait être un élément décisif pour la pérennité d’une marque dans un avenir proche. Pensons à la nouvelle génération qui décidera des leaders du marché de demain, ces futurs collaborateurs et consomm’acteurs, friands d’innovations environnementales, sociétales mais aussi technologiques.

Que le métavers devienne une tendance durable ou qu’il reste un simple effet de mode, la course au virtuel a débuté : à vos marques, prêts, virtualisez ! 

Par Emiline Invernizzi, Consultante chez Antidox