L’analyse de la présence dans la sphère digitale des candidats à la présidentielle permet de dresser un premier tableau de la campagne électorale.
Elle peut se résumer de la manière suivante :
- Deux candidats ressortent particulièrement dans la dynamique réseaux sociaux, que ce soit le nombre de publications, les engagements suscités, la présence sur toutes les plateformes, et les dynamiques suscités avec des « armées digitales » derrière eux : Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon.
- La guerre en Ukraine dans un premier temps et l’annonce officielle de la candidature d’Emmanuel Macron dans un second temps, ont fondamentalement bousculé la campagne : les sondages se sont largement modifiés, installant le président / candidat devant, en première place, même si l’écart avec Marine Le Pen se resserre sur les derniers jours.
Les vues quotidiennes sur YouTube placent Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour très loin devant tous les autres. L’écart est colossal, pour prendre l’exemple du mois de février, le nombre de vues par jour des vidéos des chaînes YouTube de Jean-Luc Mélenchon ou d’Éric Zemmour représente 12 fois celui de Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Emmanuel Macron réunis.

L’évolution des engagements moyens montre l’avance nette d’Éric Zemmour pendant le mois de décembre, puis un trio de tête Zemmour-Mélenchon-Le Pen en janvier et enfin la prépondérance nette d’Emmanuel Macron, boosté en mars par le conflit en Ukraine (une bonne partie des engagements suscités sont dû à son statut de président en exercice avant son statut de candidat). Les engagements pris en compte ici sont le nombre de likes récoltés sur Instagram, TikTok et YouTube, le nombre de retweets sur Twitter et le nombre d’interactions sur Facebook. Il ne s’agit donc pas de bruit, qui pourrait être dû à une opposition autant qu’à un soutien, mais bien à des engagements d’adhésion.
Au-delà de ces enseignements factuels qui ressortent des chiffres de présence des candidats sur les réseaux sociaux, il importe aussi de s’attarder sur l’attention particulière des candidats à la sphère digitale de manière plus large. Les cellules « riposte » des candidats, émergentes en 2017, se sont livrées cette année à une véritable guerre de tranchée, l’exemple le plus représentatif étant le conflit entre les équipes de Valérie Pécresse et celles d’Éric Zemmour.
Mais surtout, pendant cette campagne de nouvelles habitudes de communication ont émergé. Si les équipes ont toujours chacune leur stratégie d’emailing permettant d’envoyer leurs contenus à un nombre assez important de personnes, adhérents, ou soutiens plus ou moins proches, elles ont aussi développé d’autres canaux de diffusion.
Les sites internet ont constitué un premier espace d’innovations digitales. Jean-Luc Mélenchon et son mouvement « L’Avenir en commun » proposent un comparatif des programmes permettant de juger rapidement des différences du candidat avec les autres prétendants en fonction de chaque thématique. Les équipes d’Éric Zemmour ont développé un moteur de recherche vidéo permettant de taper un mot-clé renvoyant à la seconde près à une vidéo du candidat traitant du sujet.
La plupart des équipes facilitent les procurations en mettant en lien les électeurs de sensibilités proches. Si Jean-Luc Mélenchon propose un jeu vidéo permettant de découvrir son programme, de son côté Emmanuel Macron a investit le jeu Minecraft la semaine dernière pour y retransmettre son meeting du week-end et faciliter la visibilité de ses propositions.
Mais le grand gagnant reste le format vidéo : annonce de candidature sur YouTube pour Éric Zemmour, vidéo avec McFly et Carlito pour Emmanuel Macron avant qu’il ne soit officiellement candidat à sa réélection, utilisation exponentielle du format TikTok.
L’analyse des réseaux sociaux et plus largement de la sphère digitale, n’est pas prédictive sur le résultat définitif des élections, tous les français qui votent ne sont pas présents dans l’espace numérique, surtout les retraités, qui votent en plus grande proportion, mais le fait est qu’une élection en 2022 n’est plus la même qu’en 1995 ou en 2002 : il ne s’agit plus uniquement de passages TV, de débats (il y en a eu très peu, aucun avec tous les candidats) ou d’interviews, mais bien plus désormais de production de contenus sur les réseaux sociaux, de tweets, de vidéos YouTube, d’emailings, d’innovations digitales, de discussions Facebook ou de débats autour de sujets d’actualités via les hashtags. France 2 l’a bien compris et ne s’y est pas trompé en proposant après son interview « 20h22 » de chaque candidat un échange sur le compte Twitch de France Télévisions.
Si, selon les sondages, la notoriété digitale n’est pas exactement représentative des intentions de vote, il est certain que cette tendance tend à évoluer dans les années qui viennent. 2022 restera un tournant dans la manière de mener campagne. TF1 semble l’avoir intégré en choisissant sciemment d’écourter la soirée électorale du 10 avril, proposant le film Les Visiteurs à partir de 21h30. Le choix de ce film qui mélange le passé et le présent n’est-il pas révélateur d’une nostalgie d’un temps où la campagne se menait uniquement sur les plateaux de télévision ?
Paul Marie Dabezies, Consultant Antidox