« La propagande d’hier, fake news d’aujourd’hui ? » par Emeline Invernizzi, Consultante Antidox

Les propos tenus par Ségolène Royal lors de son passage sur BFM Story jeudi dernier ont provoqué un véritable tollé. Invitée par Alain Duhamel pour un face à face, l’ancienne ministre a dénoncé une « propagande de guerre par la peur », tout en remettant en cause les crimes de guerre rapportés par Kiev dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie, notamment dans la ville de Marioupol. Elle explique notamment son propos par le manque d’informations relatives aux événements : “Le nom des victimes est resté inconnu, alors qu’à l’heure des téléphones portables, on les aurait eus”. Les débats vifs provoqués par ces déclarations interrogent sur la manière de rendre une propagande crédible aux yeux du public.

La propagande : nouvelle victime du digital ?

Si les grandes guerres qui ont rythmé le XXème siècle inondaient l’esprit des citoyens à coup d’affiches, de slogans poignants, de caricatures, de discours radiophoniques et télévisuels pour les plus modernes, cette propagande apparait aujourd’hui largement révolue. 

Avec l’avènement du digital et la multiplication des médias, le risque d’une propagande au niveau national et/ou international semble faible, puisque chacun peut avoir accès à l’information depuis son téléphone portable. Les dates, les images, le son, les méta-données, les témoignages, tout est passé au crible pour assurer la véracité des propos exprimés, à la télévision comme sur la toile numérique. Si l’on écarte de cette hypothèse les pays soumis à une dictature, comme la Corée du Nord, la multitude des médias et la liberté d’expression favorisent ce droit à l’information et écartent l’idée d’une pensée unique. 

Le temps des fake news et du complotisme permanent

Dans les pays démocratiques, chacun de nous peut devenir son propre média. Grâce aux valeurs de nos pays, chacun peut devenir son propre média et exprimer son opinion ou remettre en cause les idées majoritaires. Paola Sedda, maîtresse de conférences à l’Université de Lille, a notamment appelé cela « l’Internet contestataire » par la volonté d’« émancipation ». Si, a priori, cette floraison de médias alternatifs est une arme contre une pensée dite unique, la propagande ne peut-elle pas aussi les utiliser pour relativiser ou nier des faits et ainsi instiller le doute dans l’esprit de nos contemporains ? 

Ces dernières années, les fake news ont déferlé sur les réseaux sociaux, jusqu’à contaminer certains médias dits « main stream ». La pandémie de Covid-19 a fourni une occasion rêvée pour nourrir un déferlement de propos conspirationnistes, comme l’illustre le succès du film “Hold-up”. Se servant d’un climat de défiance envers le gouvernement français, d’intervenants « qualifiés » dont l’expertise devrait être reconnue, mais aussi d’images et d’informations sorties de leur contexte, le documentaire réuni tous les ingrédients nécessaires pour faire passer aux yeux du public son « infox » comme « info ».  

En 5 mois, le film Hold-Up a comptabilisé 86,2k mentions et a réuni 3,3M d’engagements. Que cela soit positivement ou en le critiquant, les plus grands médias ont relayé ce documentaire, comme Le Monde. 

Si les fake news se révèlent aussi dangereuses, c’est parce qu’elles réunissent tous ces éléments, et surtout parce qu’elles se disent “pour la vérité” et en faveur du peuple. Les théories du complot abondent tellement qu’une partie des citoyens, de plus en plus importante au fil du temps, ne croit plus en rien. Les faits les mieux documentés s’en trouvent remis en doute par des citoyens déboussolés qui ne croient plus ni aux scientifiques, ni aux représentants de l’Etat, ni aux experts. 

Le nouveau visage de la propagande

C’est dans ce contexte que la propagande peut prospérer, à l’ère du doute et du complotisme omniprésent. Le régime de Vladimir Poutine s’est approprié ce contexte en intervenant dans les élections américaines de 2016 comme française de 2017. Il s’agit d’affaiblir l’Occident en divisant sa population, et quand ceci est possible favoriser l’arrivée au pouvoir de gouvernements favorables à ses intérêts. La guerre en Ukraine constitue évidemment un terrain propice à la propagande, qui peut venir de chacun des côtés. La Russie en maitrise les codes et les vecteurs, et malgré le travail de reporters et d’ONG sur le terrain, sa propagande et son déni systématique des événements les plus accablants pour elle sont systématiquement démentis. Les propos tenus par Ségolène Royal se situent dans le droit fil de la propagande, a souligné Patrick Cohen dans l’émission C à vous, le 2 septembre. Après avoir expliqué les manipulations de l’opinion, notamment grâce aux influenceurs « qui auront toujours 1000 fois plus d’influence que n’importe quel discours de Vladimir Poutine. La preuve hier avec une chroniqueuse de BFM TV, qui relaie tranquillement le langage de Moscou ».

Entre le 2 et le 8 septembre, la polémique autour de Ségolène Royal et de ses propos sur l’Ukraine ont suscité pas moins de 22k mentions et 134,8k engagements. 

D’où l’importance d’une presse d’investigation compétente et neutre pour tenter de contrer le relativisme ambiant, le doute permanent que provoquent les fake news, devenues en prenant les codes du XXIème siècle le nouveau visage de la propagande d’hier.

Par Emeline Invernizzi, Consultante chez Antidox