« #BalanceTonSalaire : étendard digital des mouvements sociaux d’octobre ? » par Marion Mouturat

Grève des raffineries, pénuries de carburants et mobilisation interprofessionnelle : le mois d’octobre a été marqué par les mouvements sociaux. Par la prépondérance des conversations digitales sur le sujet, les réseaux sociaux sont apparus comme un vecteur d’amplification des revendications d’une mobilisation d’abord circonscrite, ainsi qu’un outil de structuration d’un mouvement social plus large, porté par les sphères militantes traditionnelles. 

Le mois d’octobre, un climat social tendu sur fond de pénurie de carburant

Depuis la fin du mois de septembre, la France tourne, ou essaie de rouler, au rythme des difficultés d’approvisionnement en carburant. Le fondement ? La grève des salariés de plusieurs raffineries, revendiquant une augmentation de leur salaire dans un contexte inflationniste. Un mouvement qui rejoint celui des salariés des centrales nucléaires, bien que moins discuté dans l’espace digital.  Dans l’ensemble, ce sujet a fait l’objet de 323,9K mentions et 2,3 millions d’engagements sur les réseaux sociaux : des discussions majoritairement constituées de témoignages d’automobilistes relatant leurs difficultés d’approvisionnement, exprimant parfois leur colère vis-à-vis du gouvernement, à qui ils incombent la pénurie. Ce postulat s’est également traduit dans les discours de la sphère politique, de droite comme de gauche.

Après l’annonce par le PDG de Total Énergies d’un montant de rémunération moyen de 5 000 euros pour ses salariés, rapidement démentie par leurs représentants syndicaux, les débats sur la question salariale se sont extraits du seul secteur des raffineries, pour prendre de l’ampleur dans l’espace digital. 

Des raffineries aux maîtres de conférences, l’émergence de #BalanceTonSalaire

Une tendance inattendue, directement liée aux débats et démentis sur la rémunération des salariés grévistes, est l’émergence du hashtag #BalanceTonSalaire, sur lequel de nombreux utilisateurs ont « balancé » en toute transparence les détails de leur situation professionnelle, parfois avec leurs fiches de paie à l’appui, leur ancienneté, leur niveau d’études ou leurs primes. 

Ayant émergé le 11 octobre, le hashtag a fait l’objet de 44,7K mentions sur Twitter, pour un total de 245,1K engagements.  Entre le 12 et le 13 octobre, celui-ci, de même que la pénurie de carburant ou le hashtag #SoutienRaffineurs, s’est par ailleurs hissé dans le top 3 des sujets les plus discutés sur Twitter. 

Jardiniers de la ville de Paris, personnels soignants, enseignants, ingénieurs ou maîtres de conférences, la diversité des catégories socio-professionnelles ayant participé à ce mouvement de divulgation de leur salaire s’est révélée particulièrement étonnante. Echos d’un mouvement spontané, semblant échapper à une lecture purement partisane, la plupart des utilisateurs tendent à pointer du doigt une rémunération qu’ils jugent insuffisante au regard de plusieurs critères : conditions de travail, niveau de diplôme ou ancienneté, ou questionnent, au prisme de leur situation personnelle, la question de la répartition des richesses, le tout dans un contexte d’inflation qui ravive les tensions sociales. 

Du hashtag à la rue, une réappropriation de la question salariale par les structures de mobilisations traditionnelles

Le 13 octobre, plusieurs syndicats ont lancé un appel à une mobilisation interprofessionnelle pour la journée du mardi 18 octobre, liant leur appel à la grève à celle des raffineurs, avec l’augmentation des salaires comme principale revendication. 

Courbe d’évolutions des mentions de #BalanceTonSalaire (en rose), de la « marche contre la vie chère » (en bleu) et du #Grève18octobre (en violet)

Ainsi, au mouvement #BalanceTonSalaire, se sont succédées deux mobilisations qui ont suscité de nombreux débats en ligne : la « Marche contre la vie chère » (118,2K mentions), initiée par la Nupes, puis la grève interprofessionnelle du 18 octobre (114,7K mentions). Deux mouvements cette fois-ci structurés et portés par les organisations syndicales et sphères politiques de gauche, acteurs classiques de ces mobilisations. Selon la sociologue du travail Dominique Méda, ces deux mobilisations illustrent une réaffirmation de l’ancrage de la gauche française dans les questions liées au travail, et son lien avec les classes populaires. Un propos qui trouve une résonnance dans les conversations digitales, qui montrent que les organisations syndicales (comme le SNES-FSU), le groupe parlementaire de la Nupes, ainsi que des députés comme la députée Nupes Aurélie Trouvé, ont été moteurs de la diffusion des mobilisations sur les réseaux sociaux. 

Nuage de mots des principaux thèmes associés aux publications utilisant le hashtag #Grève18octobre depuis le 13 octobre

L’analyse des conversations souligne de fait l’omniprésence des thématiques liées au travail, avec de nombreuses occurrences des mots « salaires », « travailleurs » ou de différents secteurs mobilisés, qui, outre les publications à vocation informative, notamment par les médias classiques, restent majoritairement portées par des acteurs à gauche de l’échiquier politique. 

Les revendications sociales, portées par la grève interprofessionnelle, troisième sujet le plus discuté sur Twitter le 18 octobre, se sont donc placées au cœur des conversations digitales. Une tendance qui met toutefois en lumière une trajectoire de réorientation du discours à gauche, façonné et porté par des structures militantes traditionnelles.

Par Marion Mouturat, Consultant junior chez Antidox