Urgence climatique : vers un design radical ?

Face au changement climatique et à l’effervescence des débats sur les réseaux sociaux, les entreprises prennent de plus en plus conscience de l’importance de communiquer sur leurs engagements. De l’onglet « RSE » sur leur site, au changement de couleur de leur logo1, comment incarner et traduire graphiquement cette nouvelle donne ?

Eco-conception : trames de fond de l’engagement

La conception future doit entrer en résilience face aux changements climatiques pour  protéger les écosystèmes et préserver les ressources qui se rarifient. Plusieurs pistes se dessinent dont l’éco-conception fait partie.

Phénomène insufflé dans les années 1970, l’éco-conception appelle les communicants à se réinventer en intégrant la responsabilité écologique dans leurs créations. Sylvain Boyer est l’un des premiers designers à en faire son fer-de-lance : « L’éco-branding, c’est essentiellement de la création. Il s’agit de trouver des solutions pour concilier impact visuel et impact écologique dans des champs très larges du design de marque (graphisme, logo, typo, UX/UI…), et seule la créativité  nous permet de trouver des solutions efficaces. »

Dans cette optique, il est question de trouver des moyens de consommer moins : éco-logos, éco-couleurs, ou encore créations d’éco-fonts. La première, Spranq Eco Sans a été réalisée par l’agence Spranq. Elle prend pour base la Vera Sans qui va être percée de petits trous circulaire invisible à l’œil nu, lui permettant de réduire drastiquement le nombre de pixels et ainsi, la consommation d’encres. Sylvain Boyer ne s’arrête pas au print mais nous donne des pistes pour le digital : limiter la luminosité des interfaces (les interfaces noires ou « black themes » / « dark mode »  minimisant la consommation d’énergie par rapport à l’affichage d’écrans blancs), ou  encore réduire la taille des fichiers pour  diminuer l’espace de stockage nécessaire sur les serveurs.

Outre le fait de réduire l’impact environnemental de nos productions, il est possible d’utiliser des matières premières dont l’impact est quasiment-neutre.

Ce sont des solutions proposées par des designers comme Samuel Tomatis avec un « Bol en algues » en 2016, qui nous invite à repenser le support que nous utilisant. Le support de communication n’est plus en rupture avec la nature ou considéré  comme polluant, mais est une forme de prolongation de celle-ci. C’est toute une voie de recherche qui s’ouvre à nous, d’objets graphiques aussi utiles qu’éphémères ; comme les poétiques papiers ensemencés, qui une fois plantés prennent vie.

 

En effet, à l’image du courant Land Art, où l’Homme intervient dans la nature avec des matériaux trouvés in-situ, il est possible de marquer les esprits sans pour autant laisser de traces.

 

Le recours au vivant est donc une des possibilités pour s’inscrire dans une vision moins dualiste du monde, qui n’oppose pas nature et culture. C’est ce que traduisait déjà visuellement en 1970 Corinne et Arthur Cantrill, qui ont créé par la superposition  d’images une unité, en faisant vivre la société aborigène au même plan que la  brousse australienne dans l’œuvre « Earth message ».

Cette notion d’harmonie est défendue par nombres d’autres artistes, tels qu’Olivier Darné en 2004 avec son projet « La  Banque du miel », qui vise à sensibiliser le grand public aux pressions que l’homme  exerce sur son propre habitat. « La banque » est une sérigraphie mellifère : l’encre est remplacée par du miel. « Les banques consistent en une installation de bâtiments de 8m sur 3, un espace de pollinisation, une chambre forte reliée par un sas et une  grosse masse salariale de 200000 abeilles. ».

Plus tard, en 2008, Stefan Sagmeister, graphiste pluridisciplinaire, réalise un Mur de bananes pour la Galerie Deitch Project,  le slogan « Self Confidence Produces Fine Results » évolue avec dans le temps : les  bananes, jaunes et vertes le jour du vernissage, ont progressivement pourri, laissant  le message s’effacer. Ces projets résonnent comme des invitations à oser, à prendre des risques en changeant de direction.

Des pratiques graphiques multiples pour demain

Témoins de ce besoin de reconnexion au réel, les typographies manuscrites comme étendards éthiques sont déjà bien installées dans notre culture visuelle. Les marques ont depuis longtemps adopté l’aspect « fait-main » qui donne confiance et touche  notre sensibilité ; derrière une écriture manuelle se loge le geste, imparfait et propre à  chacun, où se révèle l’Homme. Yves Rocher, Lush, Nike… D’un packaging aux campagnes publicitaires, ces créations ont en commun un souffle d’énergie, une  certaine urgence à communiquer, inspirée de l’engagement citoyen, lui-même imprégné de mobilisation et d’action.

Le recours à l’illustration n’a fait que croître dans tous types de communications ces dernières années ; cette porosité entre Art et graphisme continue de se propager via  des gestes plastiques comme le remarque le Studio Pollen*.

2023 semble annoncer de l’expérimentation en tout genre pour la typographie, un contraste marqué de médiums, des accumulations de textures… Le graphisme réinjecte du sensible, du palpable, dans un monde devenu très virtuel. En effet, certains designers comme les collectifs Formes Vives ou Super Terrain avaient déjà cette vision d’une pratique qui se renouvelle sans-cesse en croisant matières et numérique.

De nos jours, de plus en plus de designers engagés se rassemblent pour trouver des moyens de penser demain en changeant leurs pratiques. Depuis janvier 2020, le collectif Les Rad!cales œuvre à travers des conférences pour que les créatifs  évoluent : “au-delà de nos engagements individuels en tant que citoyens. Nous, designers, pouvons et devons agir en tant que professionnels et apporter notre pierre à l’édifice en nous appuyant sur nos compétences et nos expériences liées à tous les  métiers de la conception : design, urbanisme, paysagisme, architecture, scénographie,  graphisme, typographie, multimédia, illustration, etc.”. Pour eux, cette transformation repose sur 4 piliers : écrire de nouveaux récits, concevoir des projets alternatifs, faire  évoluer la formation et être visible et influer. **

Au-delà des coalisations d’indépendants mobilisés, des acteurs importants du secteur de la communication prennent des mesures. En 2021, l’agence BETC lance  son rapport RSE* : d’une cinquantaine de pages, le document marque un tournant  dans l’engagement des agences, que ce soit en termes de codes graphiques (utilisation d’aplats colorés et simplicité volontaire via l’utilisation exclusive de noir,  superpositions : il emploie des marqueurs du militantisme, fait écho à des ouvrages  comme « Comment, tu ne connais pas Grapus ? » de Léo Favier – livre qui retrace  l’histoire d’un collectif de graphistes engagés et novateurs.- ) ou bien dans  l’incarnation de leurs valeurs.

En effet, l’impact vertueux d’une entreprise s’inscrit aujourd’hui dans son essence même et doit faire preuve d’actes forts pour éviter d’être catalogué « green-washing ». Ainsi, Lush explique sa position et détaille les preuves d’action sur son site* à travers de nombreuses pages étayées de données (matières premières, emballages, traitements des déchets, tout est passé en revue  pour donner au consommateur un maximum de transparence.) Plus radical encore, le fondateur de la marque de vêtements Patagonia, connu pour sa position environnementale, marque les esprits à la mi-septembre 2022 : il fait don de son entreprise à un trust tenu de faire respecter ses valeurs et tous les profits seront reversés à une association de lutte contre la crise environnementale et la protection de la nature. Plusieurs marques montantes tentent de marcher dans ces pas, telle Unbottled ou Respire, qui font de l’écologie leur fil rouge en mettant en scène des fondatrices inspirantes

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En 2023 les équipes, les entrepreneurs, représentent pleinement leurs entreprises et doivent incarner plus que jamais les valeurs de leurs marques.

 

Notes

1 Depuis 2009, le logo McDonald’s est passé sur fond vert.

* https://ungc-production.s3.us-west

2.amazonaws.com/attachments/cop_2021/501195/original/Rapport%20RSE%2020 21%20DEF.pdf?1627990715

* https://www.youtube.com/watch?v=LTFEN42uIEE&ab_channel=PollenStudio * https://weare.lush.com/fr/la-vie-selon-lush/nos-valeurs/economie-circulaire/ * https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/le-fondateur-de-patagonia-fait-don-de-son entreprise-pour-defendre-la-planete_5361901.html

** https://tube.piweb.be/w/3pNtUZA3D1AsEFKM3aFUhY

https://lesradicales.org/manifeste.html