Cyril Hanouna contre France Télévisions : exemple du conflit entre populisme médiatique et institutionnalisme culturel ?

C’est au tour de France Télévisions et de Radio France de subir la diatribe du visage phare de C8, Cyril Hanouna. Lundi 16 janvier, l’animateur a ainsi nettement et publiquement interrogé les presque 4 milliards d’euros alloués au service public audiovisuel chaque année. Une critique qui n’est pas passée inaperçue auprès de milliers d’internautes et de ces médias eux-mêmes, qui ont volé au secours du groupe, et notamment d’Arte, sur la toile numérique.

Depuis ce lundi, quelque 75,5k tweets ont porté la chaîne Arte en top tendance sur Twitter, ainsi que 6k mentions sur la toile. Une polémique qui a aussi touché France Télévisions et Radio France et qui fait suite aux propos du présentateur de l’émission de TPMP reprochant aux émissions du service public un financement “honteux” s’élevant à 3,8 milliards d’euros par an. “J’ai vu un truc qui m’a fait halluciner […] Donc nous, on donne à France Télévisions et à Radio France 4 milliards. Et ça, sans les pubs ! Avec 4 milliards, on peut en acheter des autos pour la police, on peut refaire quelques hôpitaux quand même, on peut augmenter les enseignants”, a-t-il lancé tout en appelant à la privatisation des chaînes du service public. Pour argumenter son propos, l’animateur a notamment rappelé des succès de France 3 et France 2 aujourd’hui disparus, faute de téléspectateurs, comme Fort Boyard ou Plus Belle La Vie, la série marseillaise emblématique.

Seulement, France Télévisions reste aujourd’hui le premier média des Français, avec 29,1% des parts d’audience et 4 Français sur 5 regardant une des chaînes du groupe chaque semaine. C’est aussi plus de 6 200 heures de documentaires en 2021 pour le groupe audiovisuel public français. Un détail qui n’a sûrement pas échappé aux détracteurs de Cyril Hanouna, arguant que cette somme finance non seulement le groupe, mais aussi l’investigation, la création de contenus, le sport, le numérique et plus largement la culture. Ce qu’a notamment affirmé et soutenu Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, mardi en marge du colloque “Télévisionnaire”.

Depuis lundi, les mentions “Arte” et “Artefr” ont généré 6,1k mentions, 38,6k engagements avec une portée potentielle de 1,7B. 

 

De nombreux porte-paroles des médias n’ont pas hésité à relayer et à prendre la parole sur ce (bad) buzz, comme Le Monde, mais aussi des médias hispanophones et anglophones. C’est un titre particulièrement dénonciateur qui a pris place sur les feuilles du Libération le lendemain de l’émission : “Cyril Hanouna, chien de garde de Bolloré battu par le service public”. Du côté des personnalités, c’est le tweet d’Aurore Bergé, députée des Yvelines, qui a fait sensation, avec plus de 400k impressions. Une réponse au présentateur qui reflète l’argumentation de la “défense”, recueillant plus de 300 retweets et 1 400 likes.

 

Une attaque de plus qui oppose le rendez-vous phare de C8, dont l’audience moyenne tourne autour du million de téléspectateurs, aux institutions culturelles et télévisuelles. Ces derniers mois, l’émission Touche pas à Mon Poste a fait couler beaucoup d’encre suite à certains dérapages. Rappelons-nous de la “perpétuité directe” soutenue par Cyril Hanouna pour la suspecte du meurtre de la jeune Lola, mais aussi le tollé après les insultes proférées à l’encontre du membre de La France Insoumise, Louis Boyard. Ces dérives n’ont pas échappé à l’Arcom, qui a plusieurs fois rappelé la chaîne à l’ordre, avec une mise en demeure en novembre dernier pour manquement à l’obligation de traiter avec mesure une affaire judiciaire en cours”. 

 

Les communautés engagées dans ce duel médiatique, qui ne date donc pas d’hier, semblent prendre des allures bien différentes, notamment politique, avec d’une part le populisme médiatique et de l’autre, l’institutionnalisme culturel. Politique, en effet, puisque le présentateur de C8 suggère des placements financiers alternatifs, en faveur de secteurs jugés plus utiles à la société, comme la sécurité et la santé. Son discours a notamment été défendu sur Twitter par Eric Zemmour, candidat aux élections présidentielles et président du parti Reconquête. Mais la culture, ne fait-elle pas partie des priorités pour notre jeunesse, à l’instar de l’enseignement ? Si aujourd’hui la diffusion massive de l’information est facilitée par Internet, les réseaux sociaux et les différents lieux culturels, elle n’en reste pas moins dispendieuse. Pour que chacun et chacune puisse avoir accès à la culture, c’est tout un écosystème humain, numérique et audiovisuel que nous devons financer. 


Sibyle Veil, PDG de Radio France

 

Par Emeline Invernizzi, Consultante chez Antidox