Deuxième vague #MeToo au Festival de Cannes : quand les fake news desservent la lutte

La 77e édition du Festival de Cannes s’achève sous une lumière double : celle des projecteurs qui célèbrent le cinéma mondial et celle, plus crue, d’une nouvelle vague #MeToo. Cannes, qui reflète souvent les tensions de son temps, ne déroge pas cette année à une crise médiatique qui incite autant à la vigilance qu’à la réflexion.

Le #MeToo dans le monde du cinéma, un combat toujours en cours

L’onde de choc #MeToo, née des révélations à l’encontre d’Harvey Weinstein en 2017, continue de secouer l’industrie cinématographique. Ces dernières années, les accusations d’agressions et de harcèlement sexuels s’accumulent – Polanski, Depardieu, Sarde, et d’autres poids lourds de l’industrie sont un à un pointés du doigt. La parole semble se délier sur des comportements abusifs longtemps ignorés ou minimisés.

En février dernier, c’est une nouvelle vague qui fait surface lorsque Judith Godrèche dépose deux plaintes contre Benoît Jacquot et Jacques Daillon pour agressions sexuelles sur mineure. Rapidement, l’actrice et scénariste française devient une voix majeure du mouvement, et pousse pour des changements législatifs substantiels.

Aux côtés d’une centaine de personnalités, elle participe à une tribune réclamant une loi globale sur les violences sexistes et sexuelles, afin de renforcer les soutiens financiers et humains pour les victimes. Elle est également à l’origine d’une commission d’enquête lancée début mai à l’Assemblée nationale sur « les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ».

Une 77e édition sous tensions

A Cannes, ces revendications sont à l’ordre du jour. Camille Cottin, maîtresse de cérémonie de cette 77e édition, affirme dès l’ouverture que l’ère des « messieurs tout puissants » est révolue. Judith Godrèche, quant à elle, appuie le message avec son court-métrage « Moi aussi », inspiré de témoignages réels.

Mais cette année, c’est une rumeur persistante qui cristallise les tensions. Le 2 mai, le compte @DestinationCiné annonce sur X qu’une enquête explosive de Mediapart est sur le point de révéler des comportements répréhensibles de plusieurs figures majeures du cinéma français.

L’affaire prend de l’ampleur lorsque Zoe Sagan, un profil anonyme régulièrement visé par des accusations de complotisme, relaie la rumeur. Au fil des jours, le compte aux centaines de milliers d’abonnés attise les curiosités en publiant plusieurs tweets qui laissent entendre des révélations imminentes.

Un teasing qui culmine avec la diffusion d’une liste de dix noms d’acteurs, réalisateurs et producteurs du cinéma français. Bien que non vérifiée, la liste est partagée à grande échelle sur la plateforme. Le tweet enregistre à ce jour 7 millions d’impressions, 3K mentions j’aime, 1K reposts, et 558 commentaires.

Malgré un démenti formel de Mediapart publié le 13 mai, qui dénonce la rumeur de  « manipulation médiatique » et critique l’utilisation de son nom pour légitimer des allégations infondées, il est trop tard : de nombreux médias ont déjà rapporté l’affaire et la liste est devenue un point central des discussions.

Sur X, la période de mai comptabilise plus de 20K messages en lien avec une nouvelle vague #MeToo et l’existence d’une présumée liste d’agresseurs.

Courbe des mentions #MeToo liées à Cannes en mai sur X

La force de frappe des fake news

Comment expliquer une telle escalade ? Si le phénomène des fake news n’est pas nouveau, le contexte dans lequel s’inscrit Cannes cette année constitue, lui, un terreau fertile pour une crise médiatique majeure.

A ce titre, le politologue François-Bernard Huyghe avait ainsi affirmé que le numérique aurait « démocratisé la désinformation », en permettant à chacun de diffuser rapidement des informations trompeuses ou erronées à grande échelle. Pour tout acteur, cela se traduit par un risque amplifié d’exposition à des rumeurs ou des campagnes de diffamation qui peuvent gravement nuire à son image et à sa réputation.

« La rumeur est un virus »

Ce sont les mots que Raphaël Quenard emploie dans une interview pour Clique. L’acteur, ciblé par les allégations, exprime sa frustration face à une culture du scandale qui selon lui, nuit aux véritables enjeux de la lutte #MeToo. Il appelle à s’attaquer à la « racine du virus », pour conserver l’objectif de la lutte et ne pas se laisser distraire par une forme de sensationnalisme.

Interviewée sur Brut, Judith Godrèche rappelle elle aussi la nécessité de ne pas éclipser les appels sérieux à l’action et au soutien des victimes. Elle affirme que la rumeur dessert le vrai combat, en faisant « passer les victimes pour des corbeaux ».

La liste noire qui a circulé lors du Festival de Cannes est un cas d’école de désinformation parmi tant d’autres, qui rappelle la vulnérabilité de l’information à l’ère numérique, face à des discours non-maîtrisés ou volontairement manipulés. La vigilance, la responsabilité et la vérification des faits restent nos meilleurs outils pour faire face à ce type de crise.

Par Chiara Guani