Élections européennes : bataille rangée à deux camps sur les réseaux sociaux

Le 9 juin, 48,7 millions de citoyens étaient appelés aux urnes, pour élire 81 eurodéputés français à siéger au Parlement européen. Marquées par une hausse de participation, ces élections ont été le théâtre d’une campagne très active dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux.

Réseaux sociaux ou réseau social ?

Si l’on parle souvent de la représentation et du temps de parole des candidats aux élections dans les médias traditionnels, radio, télévision et presse écrite, qu’en est-il de la visibilité en ligne, où la campagne pour les élections a également été très active, et ce, dans une ambiance bien souvent plus tumultueuse.

Pour répondre à cette première question, il faut comprendre que pour les discussions politiques ou électorales, X (ex-Twitter) reste le roi incontesté des réseaux sociaux. Bien que la plateforme compte moins d’utilisateurs français que Facebook, YouTube, Instagram TikTok ou même LinkedIn, elle a concentré près de 98% des publications relatives aux élections européennes (sur des données analysées du 2 au 9 juin sur la plateforme Visibrain). Lorsque l’on parle de discussions électorales sur les réseaux sociaux, on parle donc davantage de discussion sur X.

X représentatif de la réalité électorale française ?

En se penchant sur les discussions sur X, force est de constater que les mentions des candidats et de leur parti ne correspondent pas entièrement à la réalité électorale.

Tout en rappelant que mention ne signifie pas adhésion, si l’on compare les publications relatives aux principales têtes de liste, on observe une surreprésentation de Jordan Bardella, deux à trois fois plus cité que les autres candidats. Cependant, si en plus des mentions de ces personnalités politiques, on regarde celles de leur parti respectif, alors un changement significatif s’opère. En effet, on relève que Manon Aubry et LFI sont les plus cités la semaine avant les élections, ainsi que le jour même du scrutin, jusqu’au moment de l’annonce des résultats, où les très nombreuses mentions du RN et de Jordan Bardella reprennent le dessus. Au total donc, en appliquant cette méthode, on constate un face à face entre ces deux partis : 1,1 M mentions pour le RN et Jordan Bardella, contre 975 K mentions pour LFI et Manon Aubry, très loin devant les autres partis et leur tête de liste (entre 250K et 330K publications les concernant). A cet égard, X/Twitter semble être un hémicycle où les voix des bancs les plus à gauche et à droite sont amplifiées.

Source : Talkwalker du 2 au 9 juin

La démographie, facteur explicatif d’une telle disparité ?

Sur le réseau social X, si les données et statistiques divergent quelques peu, on peut cependant affirmer que plus de 50% des utilisateurs actifs se trouvent dans la tranche d’âge de 18 à 34 ans, environ 20% entre 35 et 44 ans, le reste se répartissant avec des taux moins élevés chez les plus de 45 ans et les moins de 18 ans.

Concernant la sociologie des élections européennes, en regardant les données publiées au lendemain des résultats par Ipsos, on observe une certaine domination du vote RN chez toutes les tranches d’âge, allant de 25 à 40%. LFI est quant à elle en tête uniquement chez les 18-24 ans avec 33% des votes exprimés, et arrive deuxième position chez les 25-34 ans avec près de 20%.

L’analyse comparée par tranche d’âge pourrait donc être un facteur explicatif de la représentation accrue des publications relatives à ces deux partis sur X.

Quels thèmes électoraux ont emporté l’adhésion des utilisateurs X ?

En comparant les thèmes qui ressortent le plus sur les réseaux sociaux, à ceux qui sont considérés par les sondages comme étant les plus importants pour les électeurs, on arrive à un second constat intéressant.

Une autre étude Ipsos pour les élections ayant été réalisée en juin, dénombre ces thématiques. Ainsi, on retrouve, dans un contexte marqué par l’inflation, le pouvoir d’achat en tête des préoccupations (45%), juste devant l’immigration (43%) et loin devant la protection de l’environnement (27%) et le système de santé (26%). Points importants de l’actualité, la guerre en Ukraine (19%), ou la situation à Gaza (6%), revêtent une plus faible importance aux yeux des Français. Ces résultats masquent cependant de fortes disparités parmi les courants politiques et démographiques. Par exemple, la situation à Gaza est retenue parmi les principaux déterminants du vote par 22% des 18-24 ans, et par 36% des électeurs LFI.

Cette disparité s’exprime de nouveau lorsque l’on analyse les retombées sur les réseaux sociaux. Effectivement, les publications sur le thème de l’immigration arrivent très largement devant celles sur le pouvoir d’achat, l’inflation ou l’environnement (3 à 4 fois plus sur la période du 2 au 9 juin). Enfin, la situation à Gaza, pourtant beaucoup plus bas dans la liste, surclasse l’immigration avec deux fois et demie plus de publications, à l’approche des élections européennes.

Associées à ces deux thématiques phares, on retrouve aisément dans les biographies des utilisateurs, ou dans les hashtags associés des mentions des partis politiques et candidats se réclamant de ces thèmes, montrant une fois de plus, la capacité de ces deux camps à imposer leurs sujets en ligne.

Source : Talkwalker du 3 au 12 juin

S’il existe une grande diversité de profils sur X/Twitter, l’étude quantitative montre que le débat et la discussion semble polarisée en majorité du côté des « extrêmes ». Cela reflète certes, une catégorie de la population assez jeune, et souvent peu encline à la modération des idées et des discours, mais en décalage relatif avec le corps électoral pris dans son ensemble.

Par Matthieu Levray