Analyse – « De la nécessité de contrer le discours anti-vaccins sur les réseaux sociaux » par Julien Malbreil

« De la nécessité de contrer le discours anti-vaccins sur les réseaux sociaux » est signé par Julien Malbreil, Partner d’Antidox.

En annonçant lundi 9 novembre que son candidat-vaccin, développé en partenariat avec l’allemand BioNTech, montrait une efficacité de 90 % pour se protéger du Covid-19, Pfizer a soulevé beaucoup d’espoirs. Sentiment conforté quelques jours plus tard avec la publication positive du laboratoire Moderna. A un avenir durablement incertain succède une promesse d’amélioration de la situation sanitaire, et donc économique, courant 2021. Une bonne nouvelle relayée immédiatement par les chaînes d’infos, les radios, la presse écrite. Pourtant, loin des médias mainstream, cette annonce a aussi soulevé une vague de scepticisme, voire de mises en garde alarmistes sur les réseaux sociaux, notamment en France.

Un discours « antivax » très répandu sur les réseaux sociaux

Car le discours anti-vaccin s’avère fortement répandu, nourrit de véritables communautés que ce soit sur Facebook, Twitter ou encore YouTube et Instagram. Elles ont leurs porte-paroles, leurs starlettes et influenceurs, telle la star de télé-réalité Kim Glow, leurs seconds couteaux, et des armées de messagers pour diffuser des messages anxiogènes qui naviguent entre théories complotistes et défiance de la parole scientifique. Une étude de mai 2018 d’Antidox[i] avait démontré l’importance des mouvements anti-vaccins sur les réseaux sociaux, avec des messages dénonçant le bien-fondé et la sécurité de la vaccination. Sur les 250.000 partages d’articles sur Facebook, 46 000 tweets et 1500 discussions enregistrés chaque mois, la plupart relevait d’une parole anti-vaccination. En pleine pandémie de Covid-19, les groupes « antivax » semblent encore gagner en virulence et en audience, marginalisant un peu plus les « provax ». Le succès du documentaire complotiste « Hold-up », très commenté sur les réseaux sociaux, illustre l’ampleur du phénomène. L’écho ascendant de ces mouvements soulève des questions et suscite des craintes, relayées par le Premier Ministre qui redoute une réticence des Français à se faire vacciner, faisant ainsi perdurer l’épidémie dans le pays.

Le fonctionnement des réseaux sociaux radicalise les opinions

Les courbes ci-dessus sont éclairantes. La première reflète la soudaine hausse des mentions de Pfizer sur Twitter entre le 8 et le 16 novembre, preuve que l’annonce du vaccin n’a pas laissé indifférente la twittosphère. La seconde mesure la tonalité des messages émis, le vert signalant une opinion positive, le marron relevant au contraire une mention négative. Un simple coup d’œil permet de mesurer une tonalité générale fortement négative à l’annonce d’une nouvelle qui devrait pourtant susciter joie et soulagement. A une première réaction positive visible le 10 novembre, succède en effet une avalanche de tweets critiques, de la simple mise en garde au message conspirationniste le plus extrême. Or les « infox » colportées en ligne par les figures les plus virulentes de la mouvance « antivax » ne sont pas sans conséquence sur le sentiment général de la population. Si 15% des Français se présentent comme résolument hostiles aux vaccins, le match se joue sur la masse des indécis, qui semble de moins en moins imperméable au discours antivax. Les algorithmes des plateformes qui sélectionnent les forums proposés à l’internaute ne peut qu’amplifier la tendance : une interrogation sur un vaccin suffit à le conduire vers des sphères exclusivement anti-vaccins où la parole critique n’existe plus. Ce fonctionnement en silos étanches de communautés de pensée soude leurs membres dans des comportements complotistes et radicalise les opinions. Nos compatriotes finissent alors par redouter plus fortement un vaccin défendu par les autorités sanitaires que la probabilité d’une infection par la Covid-19.

Développer et diffuser un contre-discours

Comment dès lors lutter contre ce phénomène ? Il y a d’abord le travail de modération des plateformes qui peut limiter les excès. Facebook interdit les publicités anti-vaccins, et les discours les plus virulents peuvent être assortis de mises en garde. La parole des scientifiques et associations travaillant dans le domaine médical garde aussi toute son importance. Un message de vérité et de transparence, à condition d’assurer sa diffusion sur les réseaux sociaux, conserve un réel impact. Le factchecking, s’il s’avère insuffisant, reste indispensable. Mais il faudra aller plus loin. Car pour les internautes enfermés dans leur communauté, la parole des experts suscite un rejet immédiat et vient même nourrir leurs thèses complotistes. Le rationnel n’a plus d’efficacité sur cette population-là. Comme pour les phénomènes de radicalisation religieuse, il faut inventer et diffuser un contre-discours. Celui-ci ne pourra être efficace que s’il repose au préalable sur une analyse fine des discours anti-vaccins, dans toutes leurs variantes. Il faut dès lors trouver la rhétorique qui fonctionnera sur les mêmes ressorts pour en démonter les arguments. Le « debunkage », en d’autres termes la déconstruction des contre-vérités, constitue une étape indispensable pour retrouver un débat rationnel et apaisé. Enfin une telle mission réclame une expertise technique qu’il ne faut pas sous-estimer : il s’agit de savoir utiliser les réseaux sociaux pour assurer la diffusion la plus large du message, y compris au sein des communautés les plus réfractaires à les recevoir. Ce discours doit être diffusé sur les principales plateformes, non seulement Twitter ou Linkedin, mais aussi Facebook, Instagram, Tik Tok ou encore Snapchat. Il faut également s’appuyer sur les sites consultés par un public jeune, à l’exemple de melty. Et trouver les relais influents par rapport au public qu’on souhaite impacter. Bref une stratégie d’influence sophistiquée doit donc être déployée. Elle vise à ouvrir les yeux des victimes du discours complotiste et servira la cause de la santé publique.

1. https://www.antidox.fr/2018/05/17/pro-vaccins-anti-vaccins-quels-impacts-sur-les-reseaux-sociaux/

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