Entretien avec Yann Boissière, auteur de « Heureux comme un juif en France ? » et dirigeant des « Voix de la Paix »

Après avoir exercé plus de quinze ans dans le cinéma comme scénariste, Yann Boissière rejoint le MJLF (Mouvement Juif Libéral de France) où il dirige l’enseignement de 1999 à 2007. Il devient rabbin du MJLF en 2011 et de JeM (Judaïsme en Mouvement). Il enseigne et intervient dans de nombreuses structures, dont l’Espace Culturel et Universitaire Juif d’Europe, et les Bernardins. Président de l’association les « Voix de la Paix », il est également conférencier en entreprise (« expert » pour le réseau Apm), et depuis 2020, secrétaire général de l’IHEMR (Institut des Hautes Etudes du Monde Religieux).
Traducteur de plusieurs ouvrages de Yeshayahu Leibowitz, il a contribué à de nombreux ouvrages collectifs, dont le Dictionnaire du Judaïsme français depuis 1944 (dir. Jean Leselbaum & Antoine Spire, Armand Colin, Le Bord de l’Eau, 2013), Les grandes figures de la Bible (Tallandier, 2019) et Écouter, contempler, s’émerveiller : paroles de sages (Hachette, 2019). Il est l’auteur de Eloge de la Loi (Editions du Cerf, 2018), de Restaurer la confiance aujourd’hui (dir. Hermann, 2020). Son dernier ouvrage s’intitule « Heureux comme un juif en France ? Réflexions d’un rabbin engagé » ,publié le 4 mars aux Editions Tallandier. 

 

Yann, vous êtes philosophe, militant associatif et rabbin. Vous racontez dans votre ouvrage que vous vous êtes converti au judaïsme. Comment comprendre votre parcours ?

Cela fait partie de l’aventure humaine en général de se découvrir progressivement. L’identité n’est pas quelque chose de figé et ouvre de nombreuses perspectives. A notre époque, dans notre société, on peut avoir un parcours d’enrichissement qui fasse entendre les autres possibilités de soi-même. Contrairement à ce que martèlent certaines obsessions identitaires, l’identité est souple ; elle est aussi une histoire de rencontres.

Le titre de votre ouvrage, « Heureux comme un juif en France », est fort et paraît à contre-courant de la perception du grand public en France. Qu’avez-vous souhaité dire ?

Nous vivons une crise spirituelle majeure, dont l’une des manifestations les plus fortes est un cruel manque de confiance et de bienveillance. Nous sommes atteints du syndrome de l’hyper-critique. Nous sommes devenus incapables de voir nos propres forces, de célébrer nos talents, et de nous réjouir de nos efforts pour œuvrer au bien commun. Sans être naïf, c’est une vision plus équilibrée de notre force collective que j’ai souhaité rappeler.

Que pensez-vous du fait que, dans une enquête parue récemment pour la revue « Le Droit de vivre » et la Licra, l’Ifop nous dit que plus d’un lycéen sur deux (52 %) se dit favorable au port de signes religieux ostensibles dans les lycées publics et 49 % ne voient pas d’inconvénient à ce que les agents publics affichent leurs convictions religieuses ?

Cela témoigne plutôt d’une laïcité mal comprise, parce que, sans doute, on l’a mal enseignée. La laïcité est la chance de pouvoir vivre en commun en dépassant ses conceptions personnelles pour aménager un espace à l’autre et mieux affirmer sa vision finalement. Cela nécessite un pas de côté. A l’école, il est important de laisser développer des citoyens en formation jusqu’à 18 ans en se positionnant en dehors des influences familiales, c’est primordial pour la construction de l’individu et du citoyen.

Vous dirigez les associations Les Voix de la Paix : pourriez-vous nous en dire davantage sur vos projets ?

Dans une culture française marquée par une laïcité de combat, il est important que les savoirs religieux et non religieux puissent dialoguer, le tout dans le cadre de la République et de la laïcité. L’objectif est de réconcilier nos héritages communs, pour mieux s’enrichir dans la situation difficile que nous traversons. Et puis de mettre en scène nos efforts collectifs vers le bien commun, de travailler notre confiance et notre bienveillance collectivement pour avancer. Nous sommes en manque de mémoire, de lien et de sens : tous les événements des Voix de la paix cherchent à restaurer ces liens au bénéfice du bien commun, dans les entreprises, les lieux publics ou au cours d’événements dédiés.