Analyse – #HunterBiden, ou comment Twitter s’est ingéré dans la campagne américaine, de Jean-Baptiste Delhomme et Damien Liccia

Jean-Baptiste Delhomme, Partner d’Antidox et Damien Liccia, Vice-président de l’Observatoire stratégique de l’information nous parlent des phénomènes d’opinion, des stratégies d’influence et des tendances en ligne de cette semaine.

#HunterBiden, ou comment Twitter s’est ingéré dans la campagne américaine

“Our communication around our actions on the @nypost article was not great. And blocking URL sharing via tweet OR dm with zero context as to why we’re blocking: unacceptable». C’est sur Twitter, naturellement, que Jack Dorsey, co-fondateur de Twitter, a commenté l’affaire #HunterBiden. Du nom de l’un des fils de Joe Biden, grand favori de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre, cette affaire, tout à la fois potentiellement explosive et sulfureuse, est désormais une affaire dans l’affaire.

New York Post, in bed with Donald Trump

Une méta-affaire, en somme. Il y a d’un côté les leaks du New York Post, un tabloïd américain appartenant au groupe News Corp, propriété du milliardaire australien Rupert Murdoch, tenant d’une ligne conservatrice et l’un des médias les plus lus outre-Atlantique avec 1.9M abonnés sur Twitter et 4.6M abonnés sur Facebook. L’analyse des engagements sur les réseaux sociaux des publications du New York Post témoigne également de la force de frappe que revêt ce média, puisque sur les 129 628 articles émis par le NYP sur les deux dernières années, que nous avons extraits, il s’avère que ces derniers ont donné lieu à 372M d’engagements sur Facebook et Twitter. Soit un engagement moyen par article de 2.8K. Pour le dire autrement, on est loin d’un média confidentiel, même si, à titre de comparaison, sa force de frappe est significativement moindre que celle du Times ou du WaPo. Deux titres qui totalisent 1 milliard d’engagement sur les réseaux sociaux, et respectivement 7K et 5.7K engagement moyen par article.

En termes de dynamique, et bien qu’il ne s’agisse que d’une représentation volumétrique se bornant à une simple analyse de l’évolution des engagements suscités, il ressort que sur les dernières semaines les NYP a connu une montée en puissance particulièrement notable. De quoi lui permettre de rattraper le Times ou le WaPo.

Action de bienfaisance de Donald Trump (2.2M), nomination du locataire de la Maison Blanche comme potentiel Prix Nobel de la Paix (1.5M), affaire Epstein (1.6M), mouvement “Black Lives Matter” (1.4M) ou encore hydroxychloroquine (1.3M), il est peu dire que le New York Post a embrassé ces derniers mois les sujets brûlants du moment, avec des choix dans les titres ou dans l’éditorialisation qui ne sont aucunement dissonant avec la ligne éditoriale de cette plateforme conservatrice. Dans ce contexte pré-électoral, et à l’aune de ces chiffres, chaque publication du New York Post revêt donc un intérêt stratégique pour le candidat Trump, dans la perspective d’une réélection que d’aucuns jugent compromise par sa gestion de la crise sanitaire.

Twitter Killed the Conservative Star – Or At Least Tried

Une ascension, irrésistible, il n’est pour s’en convaincre qu’à regarder les courbes déclinantes des autres protagonistes, qui vient pourtant de se briser, momentanément certes, sur les nouvelles politiques des réseaux sociaux en matière de contenus “dangereux”/”nuisibles”. En effet, les différentes publications du New York Post relatives à l’affaire #HunterBiden, qui à partir des éléments révélés, et sous réserve que ces derniers s’avèrent (la prudence, à l’heure où nous écrivons ces lignes est de mise), relèverait d’une forme de trafic d’influence exercé par le fils de l’ancien vice-président, du temps de l’administration Obama, ont toutes été bloquées par Twitter et Facebook. Les screenshots se sont multipliés sur Twitter ces dernières heures, de la part d’élus ou d’utilisateurs lambdas de la plateforme, pour dénoncer le phénomène, ressortant pour ces derniers tout à la fois de la censure et d’une prise de position politique du réseau social (Twitter est davantage pointé du doigt que Facebook, à l’heure où nous écrivons ces lignes).

Twitter a, dans un premier temps, expliqué que ces restrictions de relais sur sa plateforme relevaient de la volonté du réseau social de ne pas contribuer à rendre publique des documents contenant des données personnelles (mails, adresse ou encore numéro de téléphone) ou des documents piratés. Du côté de Facebook, le discours est encore plus clair, puisque Andy Stone, en charge de la communication du réseau social, a exprimé hier soir sur Twitter (cocasse) ses doutes quant à la véracité de l’article du New York Post. Des doutes assortis d’actions concrètes, puisque, dans cette même publication, il fait état de la volonté de Facebook de réduire les partages de l’article sur la plateforme, jusqu’à ce qu’un avis soit formulé par les équipes en charge du fact checking. Des équipes qui sont composées, pour l’essentiel d’acteurs médiatiques et de chercheurs, et dont les choix ne manquent jamais de faire débat, comme en témoignent en France les différentes polémiques suscitées par le service CheckNews du quotidien Libération.

Social media interference in the 2020 United States elections

En définitive, cette affaire n’a rien de surprenant pour celles et ceux qui suivent, depuis maintenant plusieurs années, avec une accélération exponentielle du phénomène depuis l’élection de novembre 2016, la manière dont les réseaux sociaux se positionnement sur les contenus qui transitent sur leurs serveurs. D’une politique de “laissez-faire”/”laissez-dire”, ces derniers ont multiplié ces dernières années les tours de vis, notamment pour éviter de connaître, en 2020 et sur les échéances électorales à venir, le spectre d’un remake de la “Russian interference”. Des initiatives des réseaux sociaux qui ont été, en partie, la résultante de pressions d’acteurs politiques, économiques et, bien entendu, de pans entiers de l’opinion publique. Accusés d’être responsable de tous les maux de l’année 2016, alors que depuis ces narratifs ont pourtant été battus en brèches par nombre de chercheurs ou d’institution publiques, parmi lesquelles on citera notamment l’Information Commissioner Office (ICO) britannique qui, après tant et tant d’articles, de fantasmes et de documentaires, a souligné qu’au final, derrière le bullshit de ses dirigeants, Cambridge Analaytica, ne ressemblait guère aux Deus ex machina dépeint ces dernières années, ces derniers en sont venus à pratiquer eux-mêmes de l’ingérence.

Que les révélations du New York Post, soient vraies ou pas, il n’en demeure pas moins que, en l’espèce, Twitter et Facebook ont agi politiquement, ce qui constitue, non pas tant un précédent en termes de démarche, qu’en termes d’ampleur.

De quoi, en définitive, accréditer le positionnement d’outsider du président sortant face à l’“establishment” des grandes entreprises de la tech. Du pain bénit pour celui dont la campagne paraissait jusqu’ici vouée à finir dans le mur

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