« Snapchat réduit la voilure sans cesser d’innover » par Julien Malbreil

Après Meta et Twitter analysés dans ces colonnes il y a quelques semaines, il n’est pas inintéressant de se pencher aujourd’hui sur le modèle économique et les derniers résultats financiers de Snap. A titre liminaire, soulignons que ces derniers ne nous informent pas que sur la santé financière de l’entreprise. 

Dans un secteur en mouvement permanent, où les succès peuvent être aussi soudains que fragiles, ils témoignent aussi de l’évolution des pratiques des internautes sur les réseaux sociaux, des stratégies déployées pour attirer et fidéliser une population réputée (non sans raison) volage, et de la concurrence acharnée que se livre les principaux acteurs du secteur – Méta, TikTok, Twitter et donc Snap, éditeur du réseau social Snapchat. 

Des résultats financiers dans le rouge

Au même titre que les autres grandes plateformes, à la notable exception de TikTok, Snap souffre dans cette période post-pandémie de vents contraires qui fragilisent son modèle économique. La fin des confinements couplée à la baisse des budgets publicitaires des annonceurs et aux restrictions au ciblage publicitaire d’Apple ébranlent l’équilibre financier de la plateforme américaine. 

La perte nette pour le 2d trimestre 2022 illustre ces difficultés : elle atteint 422 millions de dollars, contre 117 millions de dollars pour le même trimestre 2021, alors que le nombre d’utilisateurs actifs quotidien plafonne à 347 millions, situés essentiellement dans la tranche d’âge 11-24 ans. Ces chiffres dégradés se traduisent de manière très concrète : le réseau social entend licencier 20% de ses effectifs, qui avaient atteint 6.500 salariés. Une décision lourde qui vise à stopper la détérioration des comptes de la société mais qui accompagne aussi l’abandon de plusieurs projets.

L’impératif d’innovation se heurte au réalisme financier

Il est frappant de constater combien la fin de l’insolente croissance, et la dégringolade boursière qui l’accompagne, des plateformes de réseaux sociaux les pousse à faire feu de tout bois pour stopper l’hémorragie financière en abandonnant des projets pourtant récemment considérés comme stratégiques mais qui s’avèrent gourmands en cash. Dans le même temps, elles restent parfaitement conscientes que sans innovation l’attractivité et l’avantage comparatif d’un réseau peut se perdre très rapidement. 

Snap n’échappe pas à ces réflexions et à ces besoins antinomiques. Ainsi le projet de proposer des jeux vidéo hébergés dans une fonctionnalité baptisée « Games » est purement et simplement abandonné, au même titre que Pixy et ses drones miniatures. En revanche le réseau persiste dans le développement de ses applications de réalité augmentée au service des griffes du prêt-à-porter avec la fonctionnalité « Dress up » qui permet d’essayer virtuellement des vêtements de marque. Le réseau social parie que ces services pratiques et ludiques peuvent participer à la fidélisation des utilisateurs et constituer des relais de croissance avec des investissements limités.

Trouver un modèle économique résilient

L’autre stratégie de Snap, à l’instar de Twitter, consiste à s’immuniser des aléas du marché publicitaire numérique en proposant un abonnement à ses utilisateurs en contrepartie de services innovants. Proposé au prix de 4 dollars mensuel, cette formule aurait déjà conquis un million de clients. Pas de quoi éponger les pertes financières enregistrées ces derniers trimestres, mais l’occasion en revanche de redynamiser commercialement le réseau et d’inaugurer un modèle économique plus résilient. Encore faut-il proposer dans cette formule des services suffisamment séduisants, promus par des influenceurs, pour que l’utilisateur ne se contente pas de la version gratuite, ou pire qu’il file chez les concurrents. 

Le réseau devrait prochainement proposer aux créateurs de jetons non fongibles (NFT) d’exposer leurs œuvres sur la plateforme sous forme de filtres en réalité augmentée. Ces filtres, nommés également « lenses », constituent une fonctionnalité exclusive de la plateforme au fantôme. Ce type d’offre pourrait précisément être réservé à la formule payante. Encore faut-il convaincre les utilisateurs et créateurs en se distinguant de la concurrence qui a déjà largement investi les NFT et les mondes virtuels. Reste une certitude : c’est par l’innovation permanente que Snapchat pourra faire gonfler le nombre de ses utilisateurs et trouver sur cette base un modèle économique performant en mixant abonnements, accords avec des plateformes tierces et publicité. Un défi immense du fait d’incessantes innovations technologiques, du fragile engagement des utilisateurs et d’un contexte macro-économique assombri.  

Par Julien Malbreil, Partner chez Antidox