« Marché numérique européen : un bras de fer réglementaire ? », par Amélie Gillot

La préparation des textes visant à encadrer le marché numérique européen se poursuit. Dévoilés en décembre dernier par la Commission européenne, ils entendent lutter contre les pratiques abusives et anticoncurrentielles des entreprises du numérique. Une réglementation dont les débats s’annoncent d’ores et déjà animés, comme l’illustre les récentes propositions d’amendements de la France, des Pays-Bas et de l’Allemagne appelant à un renforcement des exigences à l’encontre des entreprises concernées.

DMA : un tour de vis inédit pour réguler le marché numérique en Europe

Pour être précis, cette législation recouvre deux textes présentés par la Commission européenne, tous deux rédigés par les services du Commissaire européen pour le marché intérieur, le français Thierry Breton : le Digital Services Act (DSA), qui vise à réguler les contenus disponibles sur les plateformes numériques, et le Digital Markets Act (DMA), qui souhaite donner un cadre légal au fonctionnement des marchés numériques. En d’autres termes, « ces nouvelles règles interdiront aux plateformes en ligne qui occupent, ou devraient occuper à l’avenir, une position de contrôleurs d’accès dans le marché unique, d’imposer des conditions inéquitables », selon la Commission européenne.

Avec le DMA, l’ambition est donc de réussir à unifier la législation dans l’Union européenne sur la question de ces contrôleurs d’accès, ou “gatekeepers”, c’est-à-dire des entreprises dans une telle position dominante qu’elles sont en mesure de contrôler l’accès au marché. Dans le viseur de la Commission : les Gafam, puisque la réglementation en préparation concerne toute activité établie sur le marché européen, y compris celle d’entreprises dont les sièges sont basés à l’étranger. 

Un outil pour répondre aux abus de position dominante

En proposant cette législation, l’Union européenne veut répondre au problème pressant des conditions d’une concurrence loyale sur les marchés numériques. Si Bruxelles est intervenu plusieurs fois ces dernières années, avec notamment une sanction record d’1,5 milliard d’euros à l’encontre de Google pour abus de position dominante en 2010, le système de contrôle a posteriori s’avère trop lent. Il a ainsi fallu plusieurs années pour déclencher des procédures antitrust après les rachats d’Instagram et de Whatsapp par Facebook. 

C’est pourquoi, plusieurs pays européens ont lancé des actions successives pour réclamer des sanctions à l’encontre des géants du numérique. En France, Apple a été condamné en 2020 par l’Autorité de la concurrence à s’acquitter d’une rondelette amende de 1,2 milliard d’euros pour son entente avec ses deux grossistes Tech Data et Ingram Micro. Google a lui aussi fait les frais de cette surveillance renforcée. La firme américaine, gérant les outils d’intermédiations entre les éditeurs de sites web et les annonceurs, a profité à plusieurs reprises de sa position pour favoriser son serveur publicitaire et sa plateforme d’enchères. Résultat : une condamnation en France fin mai à 220 millions d’euros pour un double abus de position dominante. D’autres régulateurs, comme en Allemagne, sont également sur les rangs pour sanctionner le géant du net.

Une situation qui atteste d’une volonté largement partagée de contrôler la montée en puissance des Gafam pour protéger les citoyens et permettre une concurrence libre et équitable sur le marché. Une perspective qui n’enchante pas ces entreprises du numérique, convaincues que ces règles supplémentaires seront des freins à leur croissance. 

Des négociations qui s’annoncent mouvementées

Rien d’étonnant donc à ce qu’à l’issue du conseil Compétitivité le 27 mai dernier, une alliance inédite ait eu lieu entre les ministres de l’Economie français, allemands et néérlandais, avec une proposition commune en 7 points afin d’améliorer – et entendons par là durcir – le DMA. Les 3 Etats souhaitent notamment faire contrôler chaque acquisition d’un Gafam par une enquête approfondie, s’appuyant sur des seuils “clairs et déterminés”. Une prise de position justifiée par la croissance exponentielle des géants du numérique, aujourd’hui faiseurs de roi dans la publicité en ligne et créateurs d’interactions sociales, et demain générateurs de services financiers, avec à la clé toujours plus de contrôle sur la data et d’influence sur le marché. Des Etats qui entendent aussi conserver un champ de régulation nationale, ce qui n’est pour le moment pas à l’agenda de la Commission.

L’enjeu pour l’Union européenne consiste maintenant à finaliser un texte couvrant le droit de la concurrence du marché numérique sans freiner ou altérer sa croissance, un texte qui serait adapté aux 27 Etats membres, cohérent avec la réalité de l’activité des entreprises du nuhttps://www.antidox.fr/equipe/amelie-gillot/mérique, sans pour autant permettre son adaptation pays par pays. Bref, une mission qui s’annonce comme un vrai casse-tête pour le régulateur.

Par Amélie Gillot, Consultante senior chez Antidox