« #Jenemereconfineraipas #StopCouvreFeu #StopDictatureSanitaire : de nouvelles expressions d’une colère latente », Corentin Le Gall

Jeudi dernier, avant que le gouvernement annonce la mise en place de nouvelles mesures sanitaires, le hashtag #Jenemereconfineraipas était de nouveau en trending topic (TT) sur Twitter. Une information, qui prise seule paraît bien anecdotique, mais qui recontextualisée mérite que l’on s’y attarde. En effet, depuis quelques semaines maintenant, on voit apparaître de manière récurrente des hashtags appelant à la désobéissance civile et dénonçant les décisions politiques prises pour enrayer l’épidémie. #StopCouvreFeu, #StopDictatureSanitaire, #StopMasques ou encore #StopConfinement : à chaque mesure ou presque, son hashtag de protestation. La multiplication de ces opinions doit nous interroger. Faut-il les comprendre comme de simples expressions d’opposition spontanée aux mesures sanitaires ? Ou au contraire faut-il les considérer comme un phénomène plus global ?

L’importance d’une lecture macroscopique des hashtags

L’utilisation des hashtags sur Twitter sert à l’origine à catégoriser et donc à cloisonner les conversations. En les étudiant individuellement, on se coupe d’une grille d’analyse pertinente, plus macroscopique. Pris un par un, les hashtags mentionnés plus haut se résument à une simple rencontre entre une décision politique et l’opposition qu’elle génère. Autrement dit (caricaturalement) quoi de plus normal de voir apparaître un hashtag #Jenemereconfineraipas lorsque le gouvernement envisage le reconfinement. En réalité, on assiste probablement à une structure de l’opinion relativement durable qui fluctue en fonction de l’actualité et des hashtags et affiche une vigueur renouvelée cet hiver 2021.

Fig 1 : évolution de l’utilisation des hashtags #StopConfinement(153,5k), #StopDictatureSanitaire (236,1k), #StopMasques(35,3k), #StopCouvreFeu(339,9k) et #Jenemereconfineraipas (86,2k) sur les 13 derniers mois

Des contestations pour une même conversation

En analysant dans le temps, le volume des retombées associé à chacun de ces hashtags, on se rend compte qu’il existe une certaine complémentarité entre eux, comme dans une conversation où l’on passerait d’un sujet à un autre, en s’étant nourri du précédent. Débutée en avril 2020, cette conversation a été alimentée avec le #StopConfinement puis au fur et à mesure de l’érosion de son utilisation, l’émergence du #StopDictatureSanitaire. Portée par #StopMasques durant l’été, la diffusion de ce dernier va s’amplifier jusqu’à la veille du second confinement avant de diminuer courant décembre. Depuis la mi-janvier, #StopDictatureSanitaire connaît un regain d’activité porté par les débats autour d’un possible reconfinement (#Jenemereconfineraipas) et autour de la pertinence du couvre-feu (#StopCouvreFeu). 

Cette idée d’une seule même conversation est renforcée par la facilité avec laquelle les internautes passent d’un hashtag à l’autre, ou les associent les uns avec les autres. 

Si ces hashtags sont à prendre comme une seule et même conversation quel en est alors le sujet ? Sans surprise, la dénonciation des atteintes à la liberté représente la majorité des tweets : mettre en place un couvre-feu, porter le masque ou être confiné c’est avant tout, pour eux, être entravé dans sa liberté de mouvement et de respirer. Cette conversation peut alors être analysée comme l’expression d’une forme de colère, de frustration à l’égard d’une situation considérée comme injuste ou sans issue.  

Une conversation préemptée par la sphère souverainiste

De telles colères sont évidemment un matériau de choix pour les militants politiques. A ce titre, c’est le journaliste Alexandre Sulzer,  dans Le Parisien du 23 janvier, qui fait le constat le plus pertinent en estimant que « les souverainistes profitent du Covid pour se faire mieux entendre ». En s’intéressant au champ lexical entourant les biographies des internautes utilisant l’ensemble des hashtags mentionnés, les termes « patriote », « Frexit » et « souverainiste » apparaissent dans une proportion supérieure à celle des autres mouvements politiques. 

Fig 2 : nuage des mots les plus utilisés dans les biographies des utilisateurs du hashtag #StopCouvreFeu

Vers un schéma d’analyse d’opinions a priori désordonnées ? 

Ce « ras-le-bol » généralisé, construit autour d’une somme de contestations, et les tentatives d’instrumentalisation qui l’accompagne, n’est pas sans rappeler le mouvement des Gilets Jaunes. D’un point de vue uniquement fondé sur la structuration de l’opinion, le cas de ces hashtags est semblable, toute proportion gardée, à ce qui s’est passé avec le mouvement de 2019. Né d’une frustration latente et déclenché par le rejet de l’augmentation du prix des carburants, l’élan des Gilets Jaunes a su se renouveler et s’amplifier en se nourrissant d’autres causes comme le délaissement des territoires ruraux ou le pouvoir d’achat des Français.

De manière similaire, le hashtag #StopDictatureSanitaire, parti d’un ras-le-bol suscité par le confinement, a su fédérer autour de lui les opinions contre les mesures sanitaires. Tels des « actes », terme si cher aux GJ, chaque hashtag est l’émanation d’un combat spécifique. Deux mouvements construits par des contestations successives et complémentaires, n’y a-t-il là matière à trouver des patterns pour comprendre des mécanismes d’opinions a priori désordonnées ? 

 

Par Corentin Le Gall, Consultant chez Antidox