Australie / Facebook : quel financement de la presse par les GAFA ? Par Julien Malbreil

Le boycott des journaux australiens décidé par Facebook en représailles à un projet de loi initié par le gouvernement de Scott Morrison aura finalement été de courte durée. Il n’en demeure pas moins symptomatique d’une situation tendue depuis de nombreuses années entre les éditeurs de presse soutenus par leurs Etats respectifs et les plateformes technologiques, devenues incontournables pour la visibilité des titres de presse.

Un projet contesté par Facebook

Pour mieux comprendre les enjeux et les répercussions possibles de cette crise, il faut revenir sur le déroulé des événements. Le gouvernement australien entend dans un premier temps légiférer pour faire payer les plateformes numériques qui publient des articles d’actualité afin de financer les médias producteurs de contenus. Une initiative qui n’apparait pas choquante : les éditeurs de presse obtiennent simplement une rémunération pour leur travail lorsqu’il est diffusé et mis à la disposition des utilisateurs des plateformes. Sans surprise Facebook ne voit pas les choses de la même manière et considère ce projet comme une taxation illégitime de son activité. Le réseau social fait valoir que les médias australiens auraient bénéficié pour la seule année 2019 de 5,1 milliards de références gratuites représentant pas moins de 407 millions de dollars australiens, leur assurant une visibilité et une audience importantes. La réponse de Facebook ne se fait pas attendre : il interdit aux médias de publier des liens vers des articles de presse, de partager ou de consulter des contenus d’actualités australiennes mais aussi internationales sur sa plateforme, à l’exception des informations touchant l’épidémie de Covid 19.  Néanmoins ce blocage empêche certaines alertes sanitaires d’être relayées. Selon les données de la société d’analyse Chartbeat, les éditeurs locaux ont vu le trafic des lecteurs en dehors du pays diminuer d’environ 20 %. Preuve que l’impact n’a rien d’anodin.

Un compromis de bon sens mais fragile

La position de Facebook apparait en réalité peu confortable. En termes d’image, une telle mesure, malgré les explications de la plateforme, s’avérait préjudiciable, le réseau social étant rebaptisé pour l’occasion « Faceblock ». On sait les journaux fragilisés, quand Facebook dégage de considérables profits, et refuser le versement de cette contrepartie financière renvoyait l’image d’un groupe prédateur obnubilé par ses profits plus que par la survie d’une presse de qualité. Par ailleurs, Google, également impacté, avait de son côté adopté une position finalement beaucoup plus conciliante en signant un accord avec 7 groupes de presse pour assurer le développement de Google News Showcase en Australie. Logiquement, chacun ayant intérêt à mettre un terme à cette situation, un compromis est trouvé entre Facebook et l’exécutif australien : un nouveau texte de loi accorde un délai supplémentaire pour trouver un accord avec les groupes de presse. L’obligation de négociation est par ailleurs atténuée : s’il est avéré qu’une plateforme a suffisamment participé au développement de la presse australienne, alors une négociation n’est plus nécessaire. Un point important pour le réseau social qui retrouve ainsi une marge de manœuvre et accepte dans ces conditions de restaurer les contenus d’actualité sur sa plateforme.

Les relations difficiles entre la presse et les plateformes technologiques autour des droits de diffusion et d’auteur

Si un compromis a donc pour le moment été trouvé en Australie, la question cruciale de la rémunération des médias par les plateformes technologiques n’a pas encore trouvé de réponse définitive. Certes la position historique de ces plateformes considérant qu’elles aident les éditeurs en générant du trafic sur leurs sites Web semble avoir du plomb dans l’aile tant le rapport de force apparait déséquilibré à leur avantage. Il n’en reste pas moins qu’aux Etats-Unis, et dans bien d’autres législations nationales, les titres, photos et extraits d’articles de presse présents sur les plateformes relèvent du « fair use » et sont à ce titre exemptés de droits de diffusion dans la mesure où l’internaute est invité à consulter le site du journal correspondant. Une invitation en réalité de moins en moins indispensable et effective : avec la sélection proposée des passages et photos clés, le lecteur peut se contenter de ce qu’il trouve sur la plateforme. Laquelle récolte les recettes publicitaires au détriment du titre de presse. Une réalité qui a amené l’Union européenne a modifié les lois sur le droit d’auteur afin que les éditeurs soient en droit de réclamer aux plateformes une rétribution pour les extraits d’articles présents dans leurs pages. Son application en France n’a pas été sans résistance de la part de Google. Une législation du même type est souvent évoquée aux Etats-Unis, sans qu’à ce jour la situation évolue.

Donner les moyens pour garantir une presse indépendante de qualité

Mais le mouvement semble bel et bien lancé, et les plateformes technologiques n’échapperont probablement pas à une forme de participation financière accrue dans la plupart des pays où elles opèrent. Cependant la diversité des législations encadrant l’exercice des droits d’auteur ne facilite pas une approche uniforme des législations à adopter. Il est grand temps de reconnaître que les plateformes technologiques et les médias partagent un même écosystème pour fournir du contenu journalistique. Fabuleusement riches, soucieuses de leur image, on peut constater que les grandes plateformes choisissent de négocier lorsque la pression est trop forte, et acceptent de rémunérer les éditeurs. C’est vrai en Europe comme tout récemment en Australie. Reste à savoir à quel niveau ce financement se stabilisera, par quels mécanismes il interviendra et avec quelles garanties pour l’indépendance de la presse. Souhaitons que les opinions publiques se montreront assez puissantes pour exiger que les conditions financières à la survie d’une presse indépendante et de qualité restent réunies dans nos démocraties.

Par Julien Malbreil