« Pourquoi Facebook déçoit les marques ? », par Julien Malbreil

Facebook a perdu de sa superbe auprès des marques. Les différents scandales qui se sont succédé depuis quelques années, le manque de modération et l’incapacité à trouver un juste équilibre entre liberté d’expression et censure ont terni la réputation du réseau social. 

Cambridge Analytica ou le début des ennuis

La plateforme affronte de nombreuses crises depuis son lancement en 2004. Le scandale Cambridge Analytica, dévoilé au grand public en 2018, constitue le paroxysme de pratiques douteuses plus anciennes. En permettant l’utilisation de données personnelles issues de sa communauté, Facebook a provoqué une véritable perte de confiance des utilisateurs. Dans la foulée, le #DeleteFacebook a rencontré un véritable succès et poussé de nombreuses sociétés à quitter le réseau social. Le bouillonnant Elon Musk a décidé de supprimer les pages Facebook de Tesla et SpaceX. Si le réseau a promis de remettre de l’ordre dans ses affaires et de mieux assurer la protection des données personnelles de ses usagers, il affronte de nouveaux déboires, notamment avec la prolifération de discours de haine que ses modérateurs peinent à contenir. 

Stop Hate for Profit

Ces flots de messages nauséabonds ont déclenché en retour le mouvement intitulé « Stop Hate for Profit » (« Arrêtez la haine pour le profit ») initié par plusieurs ONG et associations luttant pour la défense des droits civiques. Il appelle les entreprises à ne plus acheter de publicité à Facebook et parvient à fédérer depuis 2020 plus de 1.200 d’entre elles, comme The North Face, Patagonia, Levi’s, Ben & Jerry’s ou Coca-Cola. Un boycott qui a poussé Mark Zuckerberg à réagir en annonçant dans la foulée un durcissement de certaines règles de modération. Facebook retire aujourd’hui toutes les publicités qui affirment que les personnes de certaines origines, ethnies, nationalités, genre ou orientation sexuelle représentent une menace pour la sécurité ou la santé des autres. Enfin, un message d’alerte peut accompagner certaines publications jugées « problématiques ».

Starbucks sur le départ ?

Il semblerait que ces règles restent insuffisantes. Aujourd’hui Starbucks envisagerait de quitter le réseau, las des commentaires hostiles recueillis après chaque post de la chaîne de cafés. “Starbucks est en train d’évaluer leur présence organique sur Facebook et d’évaluer s’ils devraient continuer à être présents sur la plateforme. Chaque fois qu’ils publient (de manière organique) au sujet de problèmes sociaux ou sur leur mission et leurs valeurs (par exemple, BLM, LGBTQ, durabilité / changement climatique, etc.), ils sont submergés par des commentaires négatifs / insensibles, et des discours de haine”, indique un employé de Facebook. Malgré ses efforts, le réseau social n’échappe donc plus aux polémiques et remises en cause. Son image durablement dégradée pourrait conduire d’autres marques à se désengager, mettant en péril l’équilibre économique de la firme. Dans ce contexte, la décision de 20 clubs de football anglais de Premier League de boycotter les réseaux sociaux pour protester contre la haine en ligne ne peut que marquer les esprits. 

Des chiffres étourdissants

Pourtant, il convient de nuancer ce constat inquiétant. Car il faut d’abord rappeler quelques réalités qui protègent pour l’instant efficacement la plateforme. Les chiffres communiqués par Facebook donnent en effet le tournis et confortent l’entreprise dans sa place de 1er réseau social au monde. Avec 2,85 milliards d’utilisateurs, dont 1,878 milliards sont actifs quotidiennement, le potentiel du réseau reste considérable. Une évidence qui vaut aussi pour la France avec 40 millions d’utilisateurs actifs mensuels ! Si Facebook n’est plus que troisième chez les 11-19 ans derrière Instagram (mais qui est sa propriété) et Snapchat, et second chez les 20-24 ans derrière Snapchat, il reste premier chez les 25-34 ans. L’audience de Facebook s’est étirée vers les tranches d’âge plus âgées. Aujourd’hui, 36% de ses utilisateurs ont plus de 35 ans. Une inflexion notable mais qui reste contenue : la plupart des jeunes conservent un compte Facebook, qui reste donc incontournable.

Des données qui n’échappent pas aux entreprises : elles sont 160 millions à s’afficher sur le réseau, dont 80 millions de PME. Logiquement, les marketeurs utilisent massivement Facebook puisqu’ils sont 96% à le faire en B2C et 91% en B2B. 

Une viralité faible mais une visibilité inégalée

Mais il est vrai que malgré son nouveau design, Facebook ne semble plus être l’endroit idéal pour attirer l’attention organique. La portée moyenne des publications des abonnés sur une page Facebook reste inférieure à 5% des abonnés de leur page. Les grandes marques disposant d’un grand nombre d’abonnés peuvent craindre des moyennes encore plus basses. Malgré tout, le réseau social propose aux marques une grande richesse de fonctionnalités : il reste le lieu privilégié pour assurer une visibilité à un événement. La possibilité de créer des groupes privés liés à des pages permet de cibler ses différentes cibles et de proposer pour chacune d’elles des messages spécifiques. En outre, la publicité sur Facebook n’a guère d’équivalent aujourd’hui sur les réseaux concurrents : l’audience est inégalée, il est possible de conjuguer différents objectifs en jouant sur la grande palette de placements disponibles. Si la force de viralité est la grande faiblesse de Facebook, sur Instagram le nombre d’interactions étant par exemple près de 20 fois supérieur à celui de Facebook, ne plus être présent entraîne pour une marque une perte certaine de visibilité. Sauf à faire de ce retrait une communication en soi !

Bilan des courses : Facebook reste le réseau social ultradominant en 2021 et ne peut être ignoré de la plupart des marques. Mais son image sérieusement écornée et son incapacité à modérer les contenus poussent les entreprises à la notoriété établie à s’en affranchir. Un mouvement qui le conduit à se redéfinir et à tenter de retrouver la convivialité de ses premières années. Au-delà, la question du rôle et de la régulation de l’ensemble des réseaux sociaux est posée. C’est en encadrant plus étroitement son fonctionnement et en garantissant la transparence de son logarithme que Facebook pourra redorer son blason. Il en a les moyens.

Par Julien Malbreil, Partner d’Antidox