« Campagne anti-Pfizer : quand la guerre d’influence devient virale », par Sarah Boufatis

C’est un épisode inédit qui s’est joué le 24 mai sur les réseaux sociaux. L’agence de communication Fazze se serait rapprochée de plusieurs youtubeurs et influenceurs français et allemands en proposant un partenariat rémunéré. Jusque-là, rien de bien surprenant, excepté le contenu de la demande : diffuser des informations dénigrant le vaccin Pfizer en expliquant que la mortalité due à ce vaccin serait trois fois supérieure à celle due à l’AstraZeneca mais que les médias dits “mainstream” n’en parleraient pas en raison d’enjeux économiques. L’agence a d’ailleurs préparé un ensemble de « preuves » pour asseoir son propos avec, à l’appui, un tableau indicatif du nombre de morts et le détournement d’un article du Monde.

Si le message à diffuser est explicite, l’identité du commanditaire n’est quant à elle jamais exposée, tout comme la mention obligatoire « sponsorisée ». Ces pratiques, juridiquement problématiques en France, laissent planer le doute quant à un éventuel lien avec la Russie. Une hypothèse qui semble un peu plus se confirmer alors que la campagne reprend des arguments similaires à ceux utilisés par le compte officiel du vaccin russe Sputnik V.

Influenceurs influencés : des réseaux sociaux aux réseaux complotistes

Plusieurs influenceurs (« Et ça se dit médecin » ou encore Sami Ouladitto) ont alors donné l’alerte, publiant sur leur compte Twitter ladite demande. Mais c’est à la dénonciation du vidéaste Léo Grasset, alias DirtyBiology, qui fait de la vulgarisation scientifique sur YouTube, que la polémique a fait mouche dans la sphère publique. Devenu chef de file d’un mouvement de lutte contre les fake news partagées par les influenceurs, le jeune homme a créé un véritable engouement sur la toile, comptabilisant plus de 44k likes et près de 16k retweets pour sa publication.

Au-delà d’être un « lanceur d’alerte des opés spés » selon sa propre formule, c’est toute la question de la légitimité du porte-parole qui se pose lorsqu’une information est diffusée sur la toile. La crise de l’information démontre une fois de plus que certains n’hésitent pas à se saisir des réseaux sociaux pour relayer des théories du complot. Rappelons l’affaire Kim Glow, influenceuse aux 1,1 million d’abonnés sur Instagram, qui s’est faite le relai des théories complotistes issues du documentaire Hold Up, défendant l’invention du Coronavirus. En plus d’appeler ses followers à « se réveiller », elle donne également du crédit à la théorie selon laquelle le vaccin servirait à implanter des puces 5G. Une affaire qui n’est pas sans rappeler celle de l’influenceur Joann Papz, 700 000 abonnés au compteur sur Instagram, qui s’est retrouvé au cœur d’une polémique après avoir publié une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il défend, aux côtés d’agriculteurs, l’utilisation du Bonalan, un pesticide controversé. Sponsorisée (sans mention) par le fabricant de produits phytosanitaires Gowan, la vidéo a finalement été supprimée de la toile.

Portées par celles et ceux qui disposent d’un pouvoir de persuasion à la hauteur de leur communauté, les fake news semblent proliférer sur le net. Un constat d’autant plus inquiétant qui, parfois, s’accompagne de prises de parole d’influenceurs eux-mêmes manipulés. Difficile alors de discerner le vrai du faux. Avec l’émergence de ces nouveaux leaders d’opinion, la lutte contre les infox s’est déplacée en dehors du cadre médiatique traditionnel et se joue derrière des écrans de fumée.

Nouveaux leaders d’opinion et art de la persuasion

Le voile à présent levé, la campagne anti-Pfizer soulève toutefois la question de la légitimité attribuée aux influenceurs et de l’impact du discours virtuel sur la vie réelle. Aux yeux de leur communauté, ces nouveaux leaders d’opinion prennent le pas sur les médias traditionnels, jouissant d’une relation privilégiée avec leur audience.

Une relation de proximité se crée, et avec elle le partage de points de vue qui octroie à l’influenceur un pouvoir de persuasion considérable. Cette théorie n’est pas sans rappeler celle développée par le sociologue américain Paul Lazarsfeld dans The People’s choice qui se fonde sur l’étude des campagnes électorales et du faible changement qu’elles génèrent dans l’opinion. Selon cette théorie, pour qu’un individu adhère pleinement à un message, l’émetteur doit se référer à un leader d’opinion de confiance. En d’autres termes, la force de persuasion d’un influenceur peut s’expliquer par cette interaction qui existe entre le leader d’opinion et les membres de son groupe. Même si l’on peut y opposer de nombreux arguments, force est de constater que cette théorie résonne tout particulièrement dans le cadre des réseaux sociaux.  

Mais pour éviter de s’attirer les foudres des accusations complotistes, encore faut-il pouvoir respecter le cadre légal, à savoir mentionner la sponsorisation d’un post ainsi que l’émetteur du message. Un élément qui a largement fait défaut dans le cadre de la campagne anti-Pfizer, renforçant le sentiment de tromperie. Malgré ces manquements, et dans le cas de Kim Glow, les propos tenus n’ont pas, ou très peu, eu d’effet sur son nombre d’abonnés. D’autant plus que tout a été déployé pour faire en sorte d’obtenir l’adhésion de l’auditoire.

Lutter contre les fake news, ou comment les réseaux sociaux font barrage au complotisme

Pour autant, d’autres influenceurs poursuivent la lutte contre les fake news, conscients de l’ampleur de la tâche. On notera l’engagement de Léo Grasset qui, en plus d’avoir dénoncé la campagne anti-Pfizer sur Twitter, mène une campagne d’information sur le sujet. Fer de lance pour d’autres influenceurs, la lutte contre les infox est devenue un combat de tous les jours : on pense, entre autres, au journaliste et leader d’opinion Hugo Clément (1 million d’abonnés), à l’origine de la révélation de l’affaire Johann Papz, ou encore au député européen Raphaël Glucksmann (629 millions d’abonnés) engagé pour le respect des droits humains, et plus récemment dans la défense de la cause Ouïghours en Chine.

Quoi qu’il en soit, tous ces comptes ont pour point commun la force de leur communauté. Plus la communauté est grande, plus la puissance de persuasion l’est également. De quoi donner du grain à moudre à la communauté digitale, capable de faire basculer la balance de l’opinion publique de part et d’autre de la ligne de crête. 

Par Sarah Boufatis, Consultante junior chez Antidox