« #StopTrustingTikTok ? » par Pauline Cabanas

Le 6 mars dernier, TikTok a annoncé bloquer son réseau social en Russie suite à l’adoption par le Kremlin d’une loi dite “contre les fausses informations”.

Depuis les premières provocations russes, les vidéos publiées sur TikTok contiennent pourtant des informations précieuses pour les belligérants ou pour tout autre acteur impliqué. Juste avant que le conflit n’éclate, le réseau social est par exemple
devenu un outil pour identifier les zones où se massaient les troupes russes, à la frontière avec l’Ukraine[1]. Grâce aux vidéos publiées par les ukrainiens, il était possible de suivre en temps réel leur progression.

En Russie, la plateforme comptait 24,7 millions d’abonnés fin 2021 dont une majorité de jeunes[2]. Une étude de l’Institute for Strategic Dialogue[3] montre qu’avant la loi de blocage du 4 mars dernier adoptée par le gouvernement[4], les médias contrôlés par l’Etat tels que RT ou Sputnik, utilisaient toutes les fonctionnalités disponibles sur TikTok pour diffuser des discours de désinformation sur l’Ukraine. Ceux-ci ont été diffusés avant et après le début de l’invasion. Une vidéo, désormais indisponible, du 27 février publiée par sputnik.mundo, prétendait par exemple que le président Volodymyr Zelensky avait fui Kiev pour Lviv :

Etude « #Propaganda: Russia State-Controlled Media Flood TikTok With Ukraine Disinformation », publiée par Institute for Strategic Dialogue

Si le président ukrainien a par la suite démenti cette fausse information, en publiant plusieurs selfies confirmant qu’il était toujours à Kiev, la vidéo avait déjà été vue 1,1 million de fois. En réponse à ces publications, TikTok a, dès le 28 février, rendu inaccessible toutes les vidéos publiées hors russie par RT et Sputnik, sans que les effets ne soient immédiats et actifs partout, comme le montre le visuel ci-dessous :

Etude « #Propaganda: Russia State-Controlled Media Flood TikTok With Ukraine Disinformation », publiée par Institute for Strategic Dialogue

Depuis la loi du 5 mars, sanctionnant lourdement toute personne qui diffuse des « informations mensongères sur l’armée russe »[5] et la décision de TikTok de bloquer les contenus, il n’est plus possible depuis le sol russe de publier de vidéos sur la plateforme[6] et de consulter les contenus provenant de l’étranger.

Si les Russes ne peuvent plus consulter ou publier de nouveaux contenus sur la plateforme, ils peuvent en revanche toujours accéder à certains comptes ou contenus russes publiés avant le 5 mars. Une étude menée par l’ONG Tracking Exposed[7] indique que des comptes pro-Poutine ou pro-Salvini sont toujours accessibles alors qu’aucun contenu contre la guerre en Ukraine depuis la restriction n’a pu être trouvé. Elle relève également que plusieurs tiktokeurs russes ont réussi à continuer à publier, de manière coordonnée, des vidéos de propagande pro-Kremlin. Alors même que plus personne, sur le sol russe, ne peut normalement poster, et que l’accès à des informations produites par des journalistes indépendants est devenu très compliqué, pour ne pas dire impossible. Les seuls contenus qui parviennent aux citoyens Russes sont donc globalement peu fiables, voire directement de la propagande du gouvernement. Le réseau social a complété ce verrou, par un blocage du visionnage par les Russes, de vidéos publiées depuis l’étranger. Les comptes de politiques européens et américains (Emmanuel Macron ou le sénateur Ed Markey), d’organisations internationales (les Nations Unies), ou encore ceux des dix personnalités les plus suivies au monde (Will Smith, Charlie D’Amelio), sont ainsi indisponibles depuis le sol russe.

En tout, 95% des contenus précédemment accessibles aux utilisateurs de TikTok en Russie ne le sont plus, et, les critères de restriction définis et mis en application par le réseau social chinois sont opaques.

Depuis l’étranger la vision est bien différente car tous les contenus relatifs à la guerre en Ukraine sont toujours accessibles. Le #UkraineWar atteint par exemple 1 milliard de vues sur TikTok. De son côté, le Kremlin n’a d’ailleurs pas hésité à diffuser sa propagande à l’étranger depuis les réseaux sociaux comme le montre la vidéo publiée sur le compte Twitter de l’Ambassade de Russie en France, ce lundi 21 mars.

Republiée sur TikTok, elle comptabilise déjà plus de 3,4 Millions de vues. Cette vidéo portant le #StopHatingRussians met en scène l’exclusion d’un chien à une fête du fait de son origine russe. L’objectif étant de réhabiliter, auprès des français, l’image des Russes, en considérant que les critiques visant la guerre menée par le gouvernement affectent également les citoyens russes. Les commentaires relevés sur cette vidéo critiquent surtout ouvertement l’amalgame que sous-tend cette vidéo et elle est le lieu de nouvelles critiques virulentes à l’encontre des offensives menées par le Kremlin.

Connu à l’origine pour ses courtes vidéos fun pour et par les adolescents, le réseau social chinois TikTok, désormais utilisé par des sphères de pouvoir et dans le cadre d’une guerre, pourrait bien perdre définitivement son côté naïf.

 

Par Pauline Cabanas, Consultante chez Antidox

 

  1. Article Wired, « If Russia invades Ukraine, TikTok will see it up close », 17 février 2022
  2. Article Les Echos, « Le chinois TikTok suspend la création de nouvelles vidéos en Russie », 7 mars 2022
  3. Etude Institute for Strategic Dialogue, « #Propaganda: Russia State-Controlled Media Flood TikTok With Ukraine Disinformation », 2 mars 2022
  4. Article FranceInfo, « Guerre en Ukraine : cinq questions sur la loi de censure votée en Russie, qui condamne toute « information mensongère » sur l’armée », 5 mars 2022
  5. Article Le Monde, « Guerre en Ukraine : la Russie bloque Facebook et menace les médias de lourdes sanctions pénales », 4 mars 2022
  6. Article FranceInfo, « Guerre en Ukraine : le réseau social TikTok annonce suspendre la création de nouvelles vidéos en Russie », 7 mars 2022
  7. Etude Tracking Exposed, « TikTok content restriction in Russia », 15 mars 2022