« Décryptage du débat Zemmour – Mélenchon sur Twitter : combat gagnant, débat perdant », par Charlotte Pamart

Un débat de présidentiables ? Si les ambitions élyséennes de Jean-Luc Mélenchon sont bien connues, Éric Zemmour n’a pas encore confirmé sa candidature pour les élections présidentielles de 2022 et se déclare toujours « candidat au débat ». Quand bien même, le « match » électoral organisé par BFMTV est analysé comme tel et a fait l’objet, en amont et en aval, de multiples papiers, analyses et avis relayés dans le paysage médiatique français.

Le succès à l’audimat est garanti. La chaine d’information en continu a réalisé un carton d’audience (3,8 millions de téléspectateurs) la plaçant en tête de la Médiamétrie, loin devant l’émission de France 2, « Elysée 2022 » et ses invités politiques Valérie Pécresse et Gérald Darmanin.

Cette même dynamique se retrouve sur les réseaux sociaux. Dès son annonce, le 19 septembre, les utilisateurs n’ont eu de cesse de commenter, juger, décrypter et même ironiser sur ce débat entre le polémiste d’extrême-droite et le tribun de la gauche radicale. Avec un pic de conversations dans la soirée du 23 septembre digne des plus grandes soirées électorales.

Pour les deux protagonistes, ce débat au regard des réactions sur Twitter est-il synonyme de succès ou d’insuccès ? Peut-on dégager un vainqueur ? Selon quels critères ?

Un pic de discussion en ligne digne de certaines soirées électorales

Dès son annonce le 19 septembre, Twitter s’est enflammé au sujet de ce débat. Près de 22 000 retombées ont été relevées sur la journée avec un pic de 5 000 mentions, entre 18 et 19h, consécutifs aux annonces officielles des deux débatteurs. La montée en tension se maintient dans les jours qui suivent, s’intensifie le 23 septembre et atteint des sommets lors de la diffusion du débat : 520 600 tweets associent les noms des deux tribuns, 159 700 tweets citent Jean-Luc Mélenchon, 223 000 Éric Zemmour. Le lendemain, la volumétrie ne faiblit pas avec un décryptage opéré par la plupart des internautes.

Evolution des mentions associant les noms des deux débatteurs du 19 au 26 septembre

Le buzz est là. Mais chacun sait que les communautés issues des sphères LFI et droite radicale sont parmi les plus structurées et actives en France sur la plateforme – et qu’elles peuvent mobiliser des cellules de discours et contre-discours digital puissantes. A ce sujet, ce sont les militants du leader de La France Insoumise qui se sont le plus mobilisés, en témoigne le volume de hashtags de soutien envers le candidat (les hashtags #JeSoutiensMelenchon, #VictoireMelenchon et #Melenchon2022 sont repris dans 105,5K tweets). Il faut cependant souligner la capacité de l’entourage d’Eric Zemmour à avoir constitué une dispositif de communication digital puissant en quelques mois.

Débat ou combat politique ?

Si l’on exclue les messages des partisans des deux camps, la tonalité des conversations apporte un éclairage différent. Bien sûr, les propos d’Éric Zemmour, sur ses thématiques de prédilection (immigration et souveraineté en tête), ont suscité les plus vives réactions. On relèvera également les nombreux détournements humoristiques et ironiques qui sont désormais monnaie-courante sur la toile – et souvent organisés avec efficacité, surtout lorsqu’il s’agit de personnalités grand public. Du buzz au badbuzz politique, la frontière est fine.

Mais l’une des caractéristiques singulières réside dans la nature même de cet affrontement monté en épingle comme un « choc » par les différents internautes. BFM a lancé les hostilités par sa bande-annonce aux allures de blockbuster. Sur Twitter, les références aux univers sportifs, cinématographiques et autres divertissements ont fait florès. On parle de « show pugilistique », de « classico » comparable à la rivalité entre le FC Barcelone et le Real Madrid ou de Booba et Kaaris.

Ces métaphores autour de la notion de « combat » ne sont pas sans rappeler celles qu’il y avait eu lors du débat ayant opposé Emmanuel Macron à Marine Le Pen en 2017… dans l’entre-deux tours. Si bien qu’il convient de se demander si les gagnants de ce débat ne sont finalement pas les deux protagonistes, et non le grand public, ce dernier ayant légitimer leur statut de présidentiable.

Peut-on distinguer un vainqueur ?

Si dès les premières secondes de son allocution, Jean-Luc Mélenchon s’est défendu de jouer un « match » contre Éric Zemmour, le match se trouvait bel et bien sur Twitter. Il est indubitablement un succès au regard des interactions suscitées mais atterrit finalement sur un résultat nul. Il revient à Éric Zemmour l’avantage de la volumétrie et au député LFI celui d’une communauté plus active. Mais les nombreuses réactions critiques, sarcastiques et ironiques contrebalancent ce postulat et doivent relativiser le succès du débat.

Et si le vainqueur s’appelait BFMTV ? La chaine d’information a connu son plus haut pic de conversations lors de cette soirée du 23 septembre sur cette dernière année.

Evolution des mentions liées à BFMTV sur les 13 derniers mois

Elle a été la première partie prenante dans la super-médiatisation du débat et en a voulu garder la main. Plusieurs célèbres streamers, Hugo Décrypte et Sardoche en tête, ont ainsi été bannis de la plateforme Twitch pendant une durée déterminée alors qu’ils commentaient en direct le débat entre Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. Cette décision a été justifiée par l’exclusivité des droits de diffusion en faveur de BFMTV.

La relation des chaines d’information avec les réseaux sociaux et notamment l’avènement des décryptages politiques sur Twitch par des commentateurs/influenceurs ne serait-t-il finalement pas le lieu du prochain match politique ? Il faudra pour cela analyser dans les prochains mois sur quelles plateformes les audiences se rassemblent et les opinions évoluent réellement…

Par Charlotte Pamart, Consultante senior chez Antidox