« Emmanuel Macron et McFly et Carlito : le nouveau costume de la République ? », par Guillaume Alévêque

Le Président de la République entend continuer de s’adresser à des publics ciblés, parfois éloignés de l’actualité politique, et multiplie donc les prises de parole dans des canaux de communication variés pour renforcer l’impact de sa prise de parole. Interventions télévisuelles à 20 heures, interviews aux journalistes de la presse quotidienne régionale, puis à la revue trimestrielle Zadig. Mais son passage le 23 mai sur la chaîne des deux youtubeurs McFly et Carlito fut certainement plus original, et plus polémique.

Une atmosphère loin de la politique

Le principe ? Un concours de 8 anecdotes entre le président et McFly et Carlito, sur le modèle de ce que les deux youtubeurs réalisent régulièrement sur leur chaîne, les participants devant deviner si l’anecdote racontée est vraie ou fausse. Le perdant a un gage établi au départ mais le score final – en l’occurrence une égalité entre les protagonistes – a moins d’importance que son impact : la vidéo reste au sommet des tendances YouTube après quatre jours et approche déjà les 13 millions de vues. Un score exceptionnel pour un contenu aussi long (36 minutes). Mieux encore, l’intervention a été analysée par toutes les chaînes de télévision et la presse papier, renforçant encore sa visibilité, même auprès de publics éloignés de Youtube et des formats numériques.

L’ambiance qui préside à ce jeu peut surprendre pour un président de la République qui a longtemps privilégié une conception verticale de l’exercice du pouvoir et tente de réaffirmer le prestige de sa fonction. Or McFly et Carlito se positionnent clairement et visuellement sur un pied d’égalité avec Emmanuel Macron. Carlito qui dépasse le président d’une tête, le regarde ainsi dans les yeux en assénant : “Mais on va pas vous lâcher, il n’y a pas de hiérarchie là.” Le décor est planté, et il véhicule une ambiance détendue et humoristique, comme on pourrait la trouver entre des amis qui se retrouvent pour une soirée. Les deux youtubeurs dissocient immédiatement leur contenu du politique et rappellent à leur public qu’ils ne doivent pas voter pour quelqu’un simplement parce qu’ils le trouvent sympathique, mais le ton est bien donné : l’échange avec le Président de la République sera informel et potache. Ils rencontrent donc un Emmanuel Macron d’abord un peu contenu, puis laissant peu à peu échapper des plaisanteries, quelques rires, et se montrant même étonnamment détendu sur le sujet de la consommation de cannabis. 

Gages et happenings pour un exercice de communication personnelle presque assumée

Plusieurs moments de la vidéo laissent deviner un enjeu qui va au-delà du jeu, et témoignent de ce que le passage du président sur ce format s’inscrit dans une communication pensée et planifiée qui témoigne d’une bonne maîtrise des méthodes du marketing influenceur. C’est le cas lorsque Emmanuel Macron propose qu’en cas de défaite des youtubeurs, ceux-ci fassent un passage aérien avec la patrouille de France lors du défilé du 14 juillet. Une manière de s’offrir deux nouveaux moments de communication à la dimension prestigieuse et dans un cadre éminemment « républicain » en utilisant le marketing des influenceurs, tout en conservant naturellement dans ces avions un plein contrôle du cadre dans lequel ils évolueront. C’est vrai aussi lors de l’appel en direct à Kylian Mbappé : Emmanuel Macron y apparaît non seulement comme une personnalité en lien avec la jeune génération mais il place aussi les premières pierres de son affection pour le foot, et plus particulièrement Marseille et l’OM, à quelques semaines des élections régionales. 

Pour un chef d’État en exercice, souvent impopulaire, communiquer en direction de la jeunesse s’avère toujours une initiative délicate. Et la Ve République est marquée par ces tentatives. Emmanuel Macron n’est pas le premier à tenter de séduire les jeunes, qui constituent un point d’appui essentiel lors des élections. Non tant par leur participation électorale souvent relativement faible, mais par l’image de dynamisme et de modernité qu’elle permet d’apporter par association au candidat et par l’influence qu’elle peut apporter sur d’autres publics. Le Président a donc bien compris que pour communiquer en direction de ce public, il lui fallait s’intégrer à ses formats et à ses codes, même si le public français au sens large ne les connaît pas toujours. Un exercice peu naturel dans un espace public français dans lequel la culture populaire est rarement associée au pouvoir. 

Le final de la vidéo, avec le groupe de métal « Ultra Vomit » accueilli dans les jardins de l’Elysée et y effrayant ses paisibles canards, laisse une image de décalage assez marquante, presque irréelle. Comme Mitterrand, avec son “chébran” reprenant Yves Mourousi, ou Chirac, qui en 2002 a su trouver les mots et l’angle qui ont pesé dans sa réélection, Emmanuel Macron a donc pleinement tenté d’adapter les éléments de langage et cette action de communication dans la course à l’Elysée. Cette vidéo – et l’intégralité de la séquence lancée il y a quelques mois avec une vidéo commandée aux deux youtubeurs pour mettre en valeur les gestes barrières – est révélatrice d’une stratégie pensée et exécutée avec soin. Emmanuel Macron s’inscrit ici dans une tendance plus large de mobilisation par les dirigeants politiques et les marques des médias que constituent les influenceurs sur les réseaux sociaux, dont les audiences sont désormais massives et engagées. A ce titre, Joe Biden diffusait le 24 mai un échange sur les vaccins contre le Covid-19 avec les influenceurs beauté Manny Mua (4,8 millions de fans) et Jackie Aina (deux millions de fans), en interaction avec le Dr Fauci, l’immunologue qui a piloté la campagne vaccinale américaine.

Les risques sur un espace préempté par les opposants

Pour l’essentiel, les retombées de la vidéo de McFly et Carlito se sont révélées positives. Leur communauté a apprécié la performance de réussir à interagir avec le Président de la République à l’Elysée, et les commentaires relatifs à Emmanuel Macron sur YouTube ou Snapchat sont positifs. Bien sûr, les acteurs de la vidéo n’auront pu éviter les habituelles railleries des réseaux sociaux, en particulier Twitter et Facebook, avec de nombreux messages moqueurs et détournements partagés sur le sujet. 

Les réseaux sociaux plus politiques comme Twitter accueillent une part de commentaires négatifs, notamment en raison de la mobilisation de militants et d’acteurs engagés politiquement. 

Sur 86,5 k utilisations du #McFlyetCarlito, 30% sont négatives et seulement 16% sont positives. (source : Talkwalker) 

Il faut noter un fort effet sur le public ciblé, 83% des réactions concernant la classe d’âge des 18-34 ans. Dans le détail des commentaires, on observe aussi des réactions positives. L’impact négatif est quant à lui généré par un petit nombre d’acteurs qui accaparent médiatiquement le sujet, occultant le potentiel positif de la vidéo lorsqu’on ignore le quantitatif pour s’intéresser à l’aspect qualitatif des commentaires. Cela se vérifie aussi avec sa médiatisation : lors de la sortie de la vidéo, le 23 mai, les commentaires se révèlent positifs ou neutres, et le ton change à partir du moment où le contenu est repris et discuté dans la presse. Commencent alors à affluer les commentaires négatifs, soutenus et relayés par l’opposition. Concernant la vidéo elle-même, elle a recueilli 1,2 millions de « J’aime » contre 34 000 mentions négatives, un rapport de forces inédit pour un contenu malgré tout politique, sur lequel se concentrent souvent des campagnes d’attaques puissantes.

Un exercice réussi de lancement de campagne ?

Dès l’instant où le phénomène devient médiatique et fait l’objet de discussions sur les plateaux de télévision des chaînes d’informations en continu et dans les matinales, le pari semble réussi. Certes, la vidéo indigne largement : Philippe de Villiers prend même la peine de signer une tribune dans le Figaro intitulée “McFly et Carlito, les pitreries d’Emmanuel Macron.” Si s’appuyer sur des vidéastes consensuels comme McFly et Carlito apparaît comme un bon choix pour s’adresser à la jeunesse, le risque est en effet de tourner la fonction en ridicule, ce que Philippe de Villiers n’est pas le seul à lui reprocher. Pour beaucoup, De Gaulle est bien loin face au théâtre d’un Président s’essayant à de fausses anecdotes et à des blagues de fin de récréation avec deux jeunes youtubeurs.

Mais le risque semble assumé par une communication en silos, avec des publics identifiés et des formats de dialogue adaptés pour chacun. Emmanuel Macron réussit donc plutôt sa prestation, à travers une vidéo dont le but premier est de mettre le public jeune en confiance en faisant oublier le politique (aucune mesure ni aucune décision à caractère politique n’est citée durant les plus de 30 minutes de vidéo). D’autres agissent de même, pour ce qui est avant tout une manière d’occuper l’espace créé pour un candidat hors système, ce que Macron se proposait d’être en 2017. Il apparaît clairement qu’il joue ses premières cartes en vue de la prochaine présidentielle, et que la campagne aura donc été lancée par un concours de blagues et d’anecdotes sur YouTube plutôt que par une interview politique de 20h sur une chaîne de télévision. Avec sans doute une conviction de sa part : il ne suffira plus au Président d’apparaître dans le prestige largement effacé de sa fonction pour mener campagne, mais il devra aussi accepter de rejoindre le terrain de jeu de plus en plus de Français : YouTube et ses stars.

Par Guillaume Alévêque, Consultant Senior chez Antidox