« Les réseaux sociaux, un défi majeur pour les régimes autoritaires » par Nicolas Ruscher

 

Dans certains pays les réseaux sociaux constituent l’unique moyen, même précaire, pour protester et faire entendre la voix populaire. Ils forment un espace de contestation et de dialogue qui n’existe plus dans la sphère publique. Une situation insupportable pour les régimes autoritaires qui craignent l’émergence d’une parole libre et font feu de tout bois pour contrôler Internet et ses utilisateurs.

La surveillance des réseaux sociaux se généralise

La liste des pays qui ont mis en place des outils de surveillance des internautes recouvre celle des régimes autoritaires. Et lorsque des troubles sociaux surgissent, c’est l’ensemble du Web qui peut se retrouver coupé. On l’a constaté récemment en Iran, en Birmanie, en Biélorussie lors de la contestation des résultats de l’élection d’Alexandre Loukachenko et actuellement au Soudan par suite du coup d’Etat militaire. En Russie, la technologie vient en aide aux autorités en permettant la surveillance des réseaux sociaux afin de repérer les comportements « destructeurs » de la jeunesse. Un dispositif qui s’ajoute à de nombreux autres. Le FSB, le service de renseignement fédéral, a déployé des filtres sur les installations des Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) du pays. Dans ces conditions, chaque donnée qui est émise ou passe par le territoire numérique russe peut être captée par les autorités. Les filiales russes de Facebook et Twitter doivent d’ailleurs accepter la surveillance et la censure, sauf à être interdites à l’image de LinkedIn. Difficile dans ces conditions d’être un activiste sur la toile russe !

La censure au nom de la souveraineté numérique

La seconde stratégie des régimes autoritaires pour contrôler leurs réseaux sociaux consiste à favoriser, voire à imposer, des services numériques nationaux sous étroit contrôle gouvernemental. A nouveau, démonstration en est faite par le régime de Vladimir Poutine : VKontakte et Telegram, deux services russes de réseau social et de messagerie cryptée, fondés par les frères Dourov, aux idées libertaires affirmées, ont dû changer de propriétaire. Ils appartiennent désormais à un proche du Kremlin. YouTube a vu apparaître une déclinaison nationale baptisée avec à propos RuTube. Un modus operandi systématisé en Chine, Pékin ayant bâti autour de ses frontières une véritable muraille numérique, qui bloque l’accès aux principales plateformes et sites d’information occidentaux pour son milliard d’internautes, comme Facebook, Google, Instagram, WhatsApp, Gmail et Youtube. Les plateformes sociales chinoises sont étroitement surveillées et une cyber-censure qui atteint des niveaux inédits est exercée par la très zélée Administration chinoise du cyberespace. La Chine a dépensé pas moins de 6,6 milliards de dollars en matière de cybercensure en 2020, selon la fondation Jamestown. D’après Citizen Lab, un institut de recherche canadien, plus de 2 000 mots-clés relatifs à la Covid-19 ont entraîné une censure sur WeChat, le principal réseau social chinois. Une censure qui n’échappe pas non plus à Weibo, le Twitter local. Il devient même interdit de publier des contenus originaux sur l’économie, la politique, la défense sur les réseaux sociaux chinois, sauf à disposer d’une licence ad hoc ! Si la censure chinoise atteint une intensité et une sophistication extrêmes, chaque régime porté sur le contrôle de sa population et réfractaire à la liberté d’expression, exerce un contrôle, voire une censure, sur les réseaux. L’ONG américaine Freedom House, qui évalue la liberté d’expression sur Internet dans le monde, dresse une longue liste des pays restreignant la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. 48 des 70 pays couverts par son dernier rapport[1], qui totalisent 88% des internautes dans le monde, ont imposé de nouvelles règles aux entreprises technologiques en matière de contenu, de données ou de concurrence.

Les leçons des troubles sociaux à Cuba

Malgré toutes ces entraves et les dangers à exprimer une parole libre, Internet et les forums de discussion restent couramment utilisés lors des épisodes de protestation contre des régimes autoritaires. En utilisant des réseaux privés virtuels (VPN), les internautes se connectent au réseau d’un autre pays et peuvent ainsi parfois échapper aux blocages. Le mouvement de contestation en cours actuellement à Cuba illustre ce jeu du chat et de la souris et atteste qu’un renforcement du contrôle des autorités sur l’Internet est le signe certain d’un durcissement politique. Car le régime cubain, dans une timide démarche d’ouverture, avait autorisé l’Internet mobile en 2018 et le Wifi à domicile en 2019, avec un résultat immédiat : sur 11,2 millions d’habitants, 4,4 millions surfaient fin 2020 depuis leur téléphone et utilisaient Facebook, la plateforme la plus populaire, mais aussi Whatsapp, Signal et Telegram. Une libéralisation très provisoire puisque dans un contexte de manifestations populaires, l’accès aux réseaux sociaux et aux services de messagerie en ligne a été restreint en juillet 2021. Une décision qui ne peut surprendre, les images des manifestants criant « A bas la dictature ! » retransmises en direct sur Facebook Live ayant eu un immense retentissement. Peu avant ces événements, le hashtag #SOSCuba s’était multiplié sur les réseaux, pour demander une aide humanitaire pour l’île, confrontée à une double crise, économique et sanitaire, non sans provoquer la colère du régime.

En cet automne 2021, une nouvelle manifestation d’ampleur était programmée le 15 novembre à l’initiative du dramaturge cubain Yunior Garcia Aguilera via la plate-forme de débat civique Archipielago, qui compte 37.000 membres. Un mouvement qui a trouvé son hymne,  la chanson de rap cubain Patria y Vida (« Patrie et Vie »), rencontrant un immense succès avec 9 millions de vues sur YouTube. Si la manifestation n’a pu se dérouler le 15 novembre en raison de l’arrestation préventive de ses leaders, il ne fait pas de doute que les réseaux sociaux cubains resteront les vecteurs des futurs mobilisations. Doté d’un nouveau cadre juridique, le régime cubain ne manquera pas de réagir en restreignant leur accès. A Cuba comme ailleurs, les réseaux sociaux restent une source d’information et d’organisation précieuse pour les mouvements de contestation et resteront à ce titre menacés par les pouvoirs autocrates en place.

Par Nicolas Ruscher, Directeur Conseil chez Antidox

 

[1] https://freedomhouse.org/sites/default/files/2021-09/FOTN_2021_Complete_Booklet_09162021_FINAL_UPDATED.pdf