« Facebook dans la tourmente », par Jean-Edouard Gueugnon et Julien Malbreil

Lundi 4 octobre, peu avant 18 heures, Facebook disparaissait littéralement d’Internet, rendant indisponible le principal réseau social de la planète ainsi que son écosystème : WhatsApp, Messenger, Instagram, ou encore les jeux Oculus, devenaient dès lors inaccessibles à leur tour. Un black-out géant de plus de 6 heures privant les 3,51 milliards d’utilisateurs d’accès à leur compte ou de la possibilité d’échanger via leur messagerie habituelle. La courbe de volume de trafic Internet géré par Facebook illustre l’effondrement des services :

Rapidement, des rumeurs de piratage de données sont apparues sur Twitter, autre grand réseau social non concerné, pour sa part, par cette panne géante. Le groupe Facebook a balayé d’un revers de main ces rumeurs évoquant dans un communiqué des « changements de configuration des routeurs fédérateurs (backbone) qui coordonnent le trafic internet entre nos centres de données ».  Il semble effectivement s’agir d’un changement de configuration du Border Gateway Protocol, ou BGP, lequel indique au navigateur l’adresse à suivre afin de trouver le site, qui se trouve à l’origine de cet incident. Une simple erreur humaine en somme… On peut néanmoins s’interroger sur le manque de contrôle des opérateurs de Facebook et constater que celle-ci intervient au plus mauvais moment.

Quelle semaine noire, en effet, pour Facebook puisque cette coupure majeure se produit parallèlement aux attaques de la lanceuse d’alerte Frances Haugen, ex-employée du groupe au logo bleu turquin, qui a qualifié le réseau social de « moralement en faillite », l’estimant « toxique » pour les adolescents ou évoquant les problèmes liés à la lutte contre les « fake news », l’entreprise faisant passer son souci du profit avant sa déontologie. Mark Zuckerberg a dû réagir à cette attaque : « Nous nous soucions profondément des problèmes tels que la sécurité, le bien-être et la santé mentale », a-t-il affirmé. Des mesures concrètes seront probablement nécessaires dans les semaines à venir pour appuyer son propos et démentir les accusations de Frances Haugen.

Enfin, une enquête antitrust est actuellement menée aux Etats-Unis dans le cadre du rachat en 2012 et 2014 de WhatsApp et Instagram. Si la Federal Trade Commission (FTC) décidait d’invalider ces rachats pour abus de position dominante, elle démantèlerait de facto le groupe. Une perspective qui n’a rien de fictive.

Pour en revenir au shutdown du 4 octobre, ses conséquences ne se sont pas fait attendre :

  • L’action Facebook a chuté avant de reprendre quelques couleurs et de se stabiliser autour d’une valorisation à 334 US dollars l’action
  • Certains spécialistes des réseaux sociaux en ont profité pour pointer du doigt l’hégémonie de Facebook, faisant écho à la loi Sherman dite « antitrust » ou aux règles de la concurrence européenne. La brusque coupure de Facebook a illustré la dépendance des internautes aux multiples applications et services de l’entreprise. Margrethe Vestager, la Commissaire européenne en charge de la concurrence, a ainsi tweeté : “we need alternatives & choices in the #tech market, and must not rely on a few big players, whoever they are => that’s the aim of #DMA”, relançant le projet de Digital Markets Act européen dont le but est de pouvoir réguler les plateformes numériques en temps réel.
  • L’entreprise démontre une vulnérabilité en interne, l’incident ayant aussi endommagé son réseau interne et la capacité de ses salariés à communiquer entre eux pour résoudre la crise. La représentante des Etats-Unis Alexandria Ocasio-Cortez a insisté sur le risque qui pèse sur les pays qui s’appuient trop lourdement sur Facebook dans leur communication. Au Nigeria, la communication présidentielle a été temporairement réduite au silence. Le maire de Budapest, opposant au gouvernement hongrois, a insisté sur le fait que Facebook restait l’un des seuls médias non dominé par le parti au pouvoir et s’est inquiété de l’interruption de son service.
  • Les éléments avancés par Frances Haugen ont quand à eux incité de nombreux parlementaires européens à renforcer leur engagement en faveur du DSA (Digital Services Act), ce projet de règlement européen qui vise à obliger les réseaux sociaux et les places de marché à communiquer sur leur action contre les contenus illégaux et sur le fonctionnement de leurs algorithmes.

Au regard du bénéfice que Twitter, Télégram ou Signal ont tiré de ce shutdown, on peut considérer que la course au leadership numérique reste ouverte, les positions des uns et des autres pouvant être redistribuées par des incidents techniques. Cette panne aura au moins eu le mérite de sevrer pour quelques heures les internautes, qui auront pu constater que la Terre ne s’arrête pas de tourner sans réseaux sociaux et que le rapport au temps est une notion qui peut tout à fait évoluer. Et si c’était ça, la vraie leçon du black-out ?