« Le défi d’une communication corporate dans un contexte de crise exacerbée » par Marie Bertrand

Bien que les contextes de crise sanitaire, économique ou encore sociale fassent irruption régulièrement dans notre quotidien, depuis plus d’une décennie, la guerre déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine a pris nombre de dirigeants d’entreprises par surprise. Très vite la question de l’opportunité et de la manière de s’exprimer sur ce sujet s’est posée. Comment poursuivre sa communication de marque dans un tel contexte ? Que dire, à quel moment et dans quel objectif ? Tels sont les termes de l’équation.

Réagir à chaud ou privilégier le recul sur les événements 

Deux temporalités se sont confrontées. Pour les dirigeants ayant une activité dans la zone concernée, il s’agit d’abord de témoigner à chaud pour exprimer sa tristesse ou son empathie et des mesures d’urgence prises. Dans cette expression, il ne faut pas surjouer la désolation et rester sobre ou factuel : les victimes sont en l’occurrence les Ukrainiens ! Dès les premiers jours du conflit Grégory Rabuel, le Président Directeur Général d’Altice France / SFR a communiqué sur les mesures de soutien prises par l’entreprise sur Twitter.

Après cette phase de réaction immédiate, les entreprises devaient développer un narratif argumenté, circonstancié et, pour certaines, concerté avec les pouvoirs publics pour se montrer à la hauteur de l’indignation collective. L’exercice est délicat. Passées les premières émotions, l’enjeu est de partager une communication clarifiant la position de l’entreprise, de l’arrêt des partenariats avec la Russie aux actions prises en faveur des collaborateurs et des populations concernées. Les réactions des compagnies pétrolières, du fait de la sensibilité de leur activité, étaient particulièrement attendues : Ben van Beurden, PDG Shell, a ainsi relayé sa décision de se retirer de ses coentreprises avec Gazprom. Bernard Looney, le directeur général de BP, a quant à lui expliqué se dégager de ses liens avec Rosneft, l’opérateur russe. TotalEnergies a au contraire indiqué poursuivre ses activités, même s’il gèle ses investissements. Non sans provoquer des réactions hostiles tant sa communication était observée.

Un besoin de clarification et d’explication

Pour ces entreprises qui entendent rester présentes sur le marché russe, la communication doit parfois servir à justifier une position incompréhensible ou jugée comme cynique par certains. L’espace digital voit alors émerger différents leviers de pression pour ces entreprises avec l’émergence du #WarWashing ou encore des publications dénonçant cette position, comme dans ce tweet, parmi bien d’autres, de l’économiste et membre d’Attac France Maxime Combes.

Les entreprises doivent, ainsi, faire œuvre de pédagogie pour expliquer leur décision dans la plus grande transparence, sans évidemment oublier de faire référence à l’Ukraine et, sinon à marquer leur désapprobation de l’invasion russe – avec le risque d’être peu audible du moins de certifier de leur empathie pour les victimes de ce conflit.

Les soutiens au gouvernement ukrainien ont clairement identifié cette brèche dans le narratif de ces entreprises et les risques réputationnels associés.  Des groupes sur le réseau Telegram se sont constitués, comme la chaîne Інтернет Війська України regroupant près de 200 000 membres, afin de coordonner des « raids » en ligne en proposant des messages en différentes langues, invitant les internautes à commenter massivement les publications digitales des entreprises identifiées, comme cela a été le cas pour McDonald’s par exemple.  La guerre informationnelle est plus que jamais au cœur de ce conflit et les entreprises sont un des leviers d’influence.

 

La communication en support d’actions concrètes

Toutefois, n’oublions pas les autres entreprises qui représentent la majorité de notre tissu économique, sans activité ni intérêts importants dans la zone impactée, mais qui restent concernées par le conflit en tant qu’acteur citoyen, engagé. Comment poursuivre son agenda éditorial ? Le proverbe « La parole est d’argent, le silence est d’or » est, en l’espèce, un adage à nuancer. Il peut signifier dans ce contexte un manque de considération pour l’Ukraine et pour la souffrance qu’endure son peuple. Certaines entreprises ont été critiquées pour leurs réponses tardives. Un risque d’image à l’extérieur, mais aussi un risque d’incompréhension des salariés. La plupart des entreprises sont donc amenées à s’exprimer, avec plus ou moins de réactivité. Si certaines font le choix de faire une pause éditoriale, voire de cesser de s’exprimer sur les réseaux sociaux, c’est aussi qu’elles prennent le temps d’analyser la situation et de communiquer des décisions concrètes. Attendre la mise en place de mesures de soutien à l’Ukraine avant de prendre une parole a conféré davantage de force et de légitimité aux messages portés par les entreprises qu’une simple réaction à chaud.

Faut-il préserver une communication corporate en pleine crise ?

Comment poursuivre son agenda éditorial et s’assurer d’une communication impactante est l’autre question à l’ordre du jour. Difficile pour les entreprises de communiquer sur leur business dans un contexte de crise internationale exacerbée ! Partager une information, annoncer un événement, témoigner d’un succès deviennent des exercices délicats qu’il faut savoir appréhender dans ses différentes dimensions quand une guerre se déchaîne à notre porte. Le premier obstacle est bien sûr celui de la capacité à être entendu quand tous les regards sont tournés vers une actualité brûlante et anxiogène saturant l’espace médiatique et digital. Le bruit ambiant généré par une actualité tragique s’avère si puissant qu’il occulte la plupart des évènements de la vie économique et social. Dès lors se pose la question de reporter sa communication à des jours plus sereins. Mais ceci n’est pas toujours possible : difficile de s’exprimer sur une remise de prix, un événement ponctuel important pour l’entreprise des semaines plus tard !

Mettre en place une communication qui fait sens

Si l’entreprise n’a pas le choix, ou estime utile de poursuivre son plan de communication, il faut néanmoins modifier son approche et éviter tout triomphalisme ou l’expression d’une joie sans nuage ! Pour ce faire, rappeler le contexte et témoigner de sa solidarité avec les victimes apparaît comme un exercice quasi imposé. Cette expression de compassion peut d’ailleurs aussi être l’occasion d’annoncer le cas échéant des mesures de soutien ou des dons pour aider les victimes. Orange annonce ainsi dans un tweet la gratuité des communications avec l’Ukraine.

Ensuite une communication corporate plus traditionnelle trouvera sa place dès lors que le contenu proposé est structurant, signifiant et que l’information s’inscrit en pleine cohérence avec la stratégie de l’entreprise adossée à une véritable valeur ajoutée. Chacun comprend bien que le monde économique continue à fonctionner même en période de crise géopolitique majeure, et une certaine continuité dans l’information des entreprises peut même avoir un effet rassurant : si les entreprises communiquent c’est que la fin du monde n’est peut-être pas si proche.

Il revient donc aux entreprises de trouver le juste équilibre entre la communication dictée par notre « affect », soumise à l’immédiateté et une communication structurée, légitimée par des actions, des actes dans la durée. La communication est dès lors importante car elle transmet les valeurs et engagements de l’entreprise quand le tragique, comme le dit le Président de la République, vient frapper à nos frontières.

 

par Marie Bertrand, Directrice Conseil d’Antidox