« La puissance des réseaux sociaux au service de la mue d’Éric Zemmour » par Joanne Rouhier

« Il n’est plus temps de réformer la France, mais de la sauver. C’est pourquoi j’ai décidé de me présenter à l’élection présidentielle » : le 30 novembre Éric Zemmour a mis fin à des mois de faux suspense en annonçant sa candidature à l’élection présidentielle dans une vidéo diffusée en exclusivité sur ses réseaux sociaux. Simple volonté de court-circuiter les médias ou réelle stratégie de communication ?

Une vidéo publiée sur YouTube, avec compte à rebours animé et musical, reprenant les codes de l’allocution historique du fondateur de la Ve République sur fond de la 7e Symphonie de Beethoven. Il n’en fallait pas moins de la part d’Éric Zemmour pour surprendre une nouvelle fois et casser les codes de la course à la magistrature suprême, avec pour stratégie de miser massivement sur les réseaux sociaux pour court-circuiter des médias en proie à une confiance en déclin.

Dans cet exercice, Éric Zemmour annonce la couleur : « les puissants, les élites, les bien-pensants, les journalistes » n’auront pas la main sur sa campagne. Mais peut-on réellement parler d’une annonce inédite ? Éric Zemmour n’est pas le premier homme politique à annoncer sa candidature sur les réseaux sociaux. Avant lui, le sénateur républicain Ted Cruz avait annoncé, en 2016, sa candidature à la présidentielle américaine via un message de 58 caractères sur son compte Twitter. En 2014, Nicolas Sarkozy avait également annoncé un « retour aux affaires » dans une publication sur son compte Facebook. Une démarche en apparence spontanée qui découle en réalité d’un plan de communication minutieusement rôdé. Le message n’étant que le signal de départ de sa campagne présidentielle.

Pourquoi annoncer sa candidature sur les réseaux sociaux ? A travers ces plateformes, les candidats opèrent en direct avec les utilisateurs, sans lien intermédiaire, et peuvent miser sur la viralité de leurs messages. Une semaine après sa diffusion, la vidéo de candidature d’Éric Zemmour comptabilise près de 2,9M de vues sur YouTube et lui a permis, après une période de creux, de retrouver une visibilité considérable dans l’espace digital. Éric Zemmour reste à ce stade le candidat ultra-dominant de cette présidentielle en termes de mentions en ligne.

Mentions en ligne d’Éric Zemmour (rose) par rapport aux autres principaux candidats déclarés (Marine Le Pen en violet, Valérie Pécresse en bleu, Jean-Luc Mélenchon en vert) sur les 30 derniers jours en France

Jouant le rôle d’influenceur, les militants d’extrême droite et d’extrême gauche sont parmi les plus structurés et actifs sur les réseaux sociaux en participant à la diffusion massive des messages et les relaient en dehors du cercle des initiés. Mais ce ne sont pas les seuls. Quelques heures après sa diffusion, les premiers scandales éclatent : vidéos volées, timing vivement critiqué et discours « sinistre ». Sur les réseaux sociaux, les réactions de la classe politique ne se sont pas fait attendre. Sur Twitter, Gabriel Attal, Fabien Roussel et Olivier Faure ,pour ne citer qu’eux, ont publié un post sur le clip de candidature d’Éric Zemmour et fustigé tant le fond que la forme du message envoyé par le candidat. Des réactions qui participent aussi à l’amplification du message.

La question des droits d’auteurs a également participé à la diffusion de cette vidéo. En dehors des articles de presse consacrés à l’annonce de la candidature du polémiste, Éric Zemmour s’est vu consacrer de nombreux articles sur l’utilisation illégale d’images, d’extraits de films, musiques et d’interviews. Les réactions des personnalités visées ont également amplifié le bruit et renforcé la visibilité de la candidature du polémiste. Bien que les chaînes de télévision ne soient plus autorisées à diffuser le clip de campagne, les réactions et plaintes déposées permettent à l’auteur de faire perdurer l’impact de sa vidéo. Amateurisme ou réel coup de communication ? Exercice réussi pour certains, échec cuisant pour d’autres, le résultat est tout de même là : obtenir un écho massif auprès du plus grand nombre d’électeurs.

Au-delà de la simple maîtrise visuelle, comme le permet par exemple la diffusion des images des meetings tirées des équipes des candidats, le candidat cherche désormais à assurer un contrôle du canal. Notons toutefois pour relativiser ce constat, que cette vidéo diffusée en ligne a également été partagée en direct par toutes les principales chaînes d’information, agissant elles-mêmes comme relais massifs du contenu.

Court-circuiter les médias, contrôler son image par des mises en scène et atteindre des électeurs plus jeunes : les réseaux sociaux représentent une opportunité majeure pour les candidats à l’élection présidentielle, loin des cadres institutionnels. Malgré les réticences de nombreux acteurs en termes de manipulation de l’information, les acteurs du secteur tendent à rassurer les utilisateurs et protéger la neutralité des campagnes en cours. Suite aux révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen, au sujet des choix opérés par Facebook qui favoriseraient la désinformation, Twitter a dévoilé les résultats d’une étude menée sur son propre algorithme pour savoir comment ces derniers réagissaient au contact de contenus politiques. Une démarche de transparence qui permet au réseau social de faire amende honorable en prévision des prochaines élections, et qui offre encore aux différents candidats des champs d’action très larges et utiles pour leurs stratégies de mobilisation.

Dans un contexte de campagne présidentielle polarisée, où Éric Zemmour, “le polémiste”, intervient comme un outsider venu d’un autre champ que la politique classique, la vidéo de déclaration de candidature est donc apparue comme un moment de communication majeur. Après une série de sondages décevants, des polémiques sur une visite ratée à Marseille, et des débats grandissants sur sa légitimité à se présenter (divisant ainsi l’électorat de droite et d’extrême-droite), Éric Zemmour et ses équipes semblent avoir pensé ce moment de déclaration comme un totem. Pastiche d’un moment historique pour notre pays, collection de constats sur la situation perçue de la France par Éric Zemmour, cette vidéo de candidature constituait une véritable bande-annonce plus qu’une simple intervention, et sans doute l’introduction à l’usage de nouveaux types de contenu, et un ton différent pour mener ce combat.

 

Par Joanne Rouhier, Consultante chez Antidox