« Emmanuel Macron réélu : quelle dynamique pour l’exécutif dans un paysage sociologique et numérique marqué par le dépit ? » par Guillaume Alévêque

La victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle obéit à une forme de mécanisme politique : elle est permise par la reconstitution, réduite, d’un front républicain et par une gestion perçue comme honorable des crises sanitaire et ukrainienne. Les dynamiques sociologiques à l’origine des scores de ce second tour sont également largement perceptibles.

D’après le sondage « jour du vote » réalisé par l’institut Elabe, Emmanuel Macron a obtenu 59% des voix des 18-24 ans et 75% chez les 65 ans et plus, alors qu’il est au coude-à-coude avec Marine Le Pen dans les classes d’âge actives, entre 25 et 64 ans. L’illustration claire d’un sujet fort dans le rapport au travail et au pouvoir d’achat chez les Français. Plus révélateur encore : les Français indiquant finir leur mois « sans se restreindre » financièrement auraient voté Macron aux deux-tiers, alors que ceux qui doivent se restreindre ont porté Marine Le Pen en tête à 59%. Les deux grands blocs sociaux soutenant l’un et l’autre candidats sont donc clairs et illustrent une division de notre pays, largement commentée.

Mais cette situation de clarté sociologique et politique donne aussi une logique à cette élection, la rend au fond pertinente, et bat en brèche les commentaires crépusculaires sur l’inutilité du combat électoral de cette année, sur son désintérêt et sur l’absence de mobilisation des Français. La participation a certes atteint un niveau faible pour une présidentielle – 72% pour ce second tour -, elle reste néanmoins significative et comparable aux principales élections des pays les plus proches (67% pour les législatives britanniques en 2019, 66% pour l’élection américaine de 2020 ou 76% aux élections fédérales allemandes de 2021). Par ailleurs, le nombre de voix exprimées (bulletins portés sur l’un des deux candidats en ôtant les abstentions, les votes blancs et nuls) lors de ce second tour a même été plus élevé qu’il y a cinq ans, malgré les discours sur le sujet : 32,1 millions contre 31,4 millions en mai 2017.

L’enthousiasme a toutefois clairement était moins présent qu’il y a cinq ans et a conduit à la réélection d’un Président dont le mandat a été marqué par des crises sociales majeures comme celle des Gilets Jaunes. Sur les réseaux sociaux, cette victoire de « dépit » marquée largement par une mobilisation « froide » d’électeurs de gauche et de centre-droit pour battre Marine Le Pen apparaît donc clairement.

En réponse à la réélection d’Emmanuel Macron, les principaux termes associés dans la discussion digitale sont logiquement son opposante (« Marine »), des sujets de campagne majeurs comme les retraites ou la santé, mais aussi des thèmes de division de la société française. C’est le cas du « pass » (sanitaire), très décrié des opposants du Président réélu, qui ont largement rappelé son existence pour se désoler des résultats, du terme « conseil », rappelant « McKinsey » et le débat provoqué par la sollicitation de ce cabinet par le gouvernement, ou les « médias », perçus par beaucoup comme ayant favorisé ce duel de second tour puis la victoire de l’actuel locataire de l’Élysée.

Graphique : mots associés dans l’espace digital français à l’expression « Macron réélu », entre le dimanche 24 au soir et le lundi 25 avril

Quelle que soit la vérité derrière ces termes, la réélection d’Emmanuel Macron laisse donc apparaître sur les réseaux sociaux une large vague de dépit, mais aussi une forme de mobilisation. Politique d’abord, avec une place très importante donnée aux « législatives », citées dès les premières minutes après le résultat par les principaux opposants. Sociale et populaire ensuite, avec l’apparition éloquente d’un « déjà », qui s’il est l’expression logique d’un rappel de la première victoire d’Emmanuel Macron en 2017, exprime aussi sans doute ce dépit, cette déception (sentiment dominant partagé par un chiffre important de 20% des Français selon Ipsos) « déjà » et dès à présent ressentie par de nombreux opposants, mais aussi bien sûr par certains des électeurs ayant surtout fait barrage à Marine Le Pen. Le poids des deux candidats les plus puissants en ligne durant le premier tour – Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour, qui ont à la fois obtenu le plus de vues pour leurs contenus et ont réuni le plus de militants numériques – mais absents du second, est assurément une autre cause de cette grisaille dans la réaction digitale à cette réélection.

S’il convient donc de nuancer largement l’indifférence des Français pour cette élection, l’analyse des réseaux sociaux ce dimanche 24 avril au soir et dans les jours qui ont suivi confirme un sentiment sous-jacent chez beaucoup d’observateurs de cette élection. Emmanuel Macron est largement réélu, et est à ce titre parfaitement légitime, avec une part non-négligeable (la moitié environ selon Elabe) de vote d’adhésion, mais cette victoire inspire logiquement des inquiétudes et sentiments négatifs très forts de la part d’opposants de gauche comme de droite.

La victoire politique s’avère donc plus claire que prévu par les derniers sondages , mais les défis sociaux semblent bien plus forts que lors de la première élection d’Emmanuel Macron en 2017. C’est un sentiment partagé dans le champ politique, que l’expression publique sur les réseaux sociaux confirme : 2022 a fait la preuve qu’une élection peut mobiliser et être considérée comme importante sans inspirer de sentiments d’enthousiasme, et qu’une victoire peut être parfaitement légitime sans empêcher l’infusion dans l’opinion d’un vague mais prégnant sentiment de dépit.

Par Guillaume Alévêque, Directeur Conseil chez Antidox