« La volte-face d’Elon Musk souligne les nombreux défis que doit relever Twitter » par Julien Malbreil

Derrière le renoncement d’Elon Musk à son projet d’achat de Twitter, se cachent les difficultés objectives de la plateforme de microblogging à rentabiliser son activité. Certes le patron de Tesla n’avait pas forcément comme préoccupation première de réaliser un coup financier en se portant acquéreur de Twitter, mais plutôt d’asseoir son influence et de contribuer à installer un espace d’échanges sans modération ni censure conformément à sa philosophie libertarienne. Il n’en reste pas moins qu’à 44 milliards de dollars, mieux vaut garder un œil sur les finances de son jouet, même pour la première fortune mondiale.  

La question des faux comptes, un prétexte ?

La raison officielle évoquée par Elon Musk pour renoncer à son OPA sur Twitter tient au fait qu’il n’aurait pas reçu un bilan exact du nombre de spams et de « bots » qui polluent la plateforme et rendent le nombre d’utilisateurs réels incertain. Si ces faux comptes constituent bien un problème pour le réseau social, qui les estime à moins de 5%, ceci est aussi vrai pour certains de ses concurrents à l’image de Méta ; surtout celui-ci ne pouvait pas être ignoré de l’entrepreneur quand il a formalisé son offre en avril. Il faut donc chercher ailleurs les motivations réelles de ce dédit qui fera l’objet d’un procès en octobre prochain pour déterminer et chiffrer les responsabilités des uns et des autres.

Des performances financières décevantes

Il s’avère d’abord certain que Twitter n’a jamais connu les performances de ses concurrents. En termes de chiffre d’affaires, il pèse 23 fois moins lourd que Meta, 10 fois moins que ByteDance (la maison mère de TikTok). Créée en 2006, la plateforme n’a connu son premier bénéfice qu’en 2018 et a encore enregistré une perte en 2021 malgré des revenus publicitaires en notable hausse à 4,5 milliards de dollars. Or les chiffres des 2 premiers trimestres 2022 se révèlent peu encourageants : le chiffre d’affaires du 1er trimestre pointe à 1,2 milliard, décevant les marchés financiers, et celui du second trimestre fait encore moins bien à 1,18 milliard de dollars. Ces piètres résultats s’expliquent par des rentrées publicitaires moroses, en hausse de seulement 2% sur ce trimestre. Parallèlement, les coûts augmentent de 31% sur un an, et la bataille judiciaire qui se profile ne peut que les gonfler un peu plus. Résultat : une perte de 270 millions de dollars au second trimestre et le refus des dirigeants du réseau social de s’engager sur la moindre prévision pour 2022.

Un modèle économique fragile

Ces mauvaises performances apparaissent comme le fruit d’un modèle économique intrinsèquement fragile et d’une conjoncture économique difficile. Comme les autres réseaux sociaux, Twitter a fait le pari de la gratuité pour ses utilisateurs, qui seraient aujourd’hui environ 229 millions actifs chaque jour. La gratuité implique de dépendre essentiellement de la publicité pour assurer ses revenus. Or il s’agit d’une ressource très sensible à la conjoncture, comme le prouve à nouveau l’actualité : la guerre en Ukraine et l’inflation imposent aux annonceurs des budgets à la baisse, impactant par ricochet les plateformes de réseaux sociaux. Pour compenser cette faiblesse, Twitter a mis en place une formule d’abonnement permettant de bénéficier de services exclusifs, à l’instar de LinkedIn. Mais si l’idée apparait séduisante sur le papier, elle s’avère décevante dans les faits, avec des revenus restés marginaux et qui s’essoufflent déjà puisqu’ils chutent de 25% sur le 2d trimestre. Enfin, même si le nombre d’utilisateurs s’inscrit aujourd’hui en hausse, Twitter reste à la merci de sa faible capacité à les rendre captifs. Un problème commun à d’autres réseaux sociaux mais qui semble actuellement bénéficier à TikTok qui profite d’un algorithme très efficace et parvient à mieux fidéliser ses utilisateurs.  

De nombreux défis à venir

Si Twitter bénéficie d’une image singulière et se distingue des autre plateformes sociales en surfant sur l’actualité et le débat en direct nourri par les personnalités qui s’y expriment, ce qui lui offre une certaine résilience, elle aborde néanmoins les prochains défis sociaux et technologiques dans une position peu confortable. Il lui faut tout à la fois trouver le délicat équilibre entre liberté d’expression et modération des contenus haineux ou menaçants, une balance qu’Elon Musk entendait clairement faire pencher du côté de la première proposition, accompagner l’évolution des usages des réseaux sociaux et proposer de nouvelles fonctionnalités pour recruter des utilisateurs et fidéliser ceux en place. Ces innovations devront aussi lui permettre d’épouser la révolution du métavers et du Web3, qui ouvre la perspective d’un Internet décentralisé. De quoi offrir des opportunités de croissance, mais elles exigent aussi de considérables investissements synonymes de risques si les bons choix ne sont pas réalisés. 

Une offre trop généreuses face aux incertitudes technologiques, réglementaires et financières

Dans ce contexte pour le moins incertain, on peut comprendre les doutes d’Elon Musk. Avec une offre initiale à plus de 54 dollars l’action, il ne peut que constater que les marchés financiers, sur la base d’un cours actuel qui oscille autour de 39 dollars, ne valorisent pas Twitter sur les mêmes niveaux. S’agit-il alors pour le milliardaire sud-africain de revoir à la baisse sa proposition ? Les derniers développements judiciaires et les échanges acrimonieux de part et d’autre des protagonistes permettent de douter de ce scénario. Il apparait plus probable que l’addition apparait aujourd’hui très salée pour un Elon Musk qui, s’il aime les défis commerciaux et technologiques, constate que les collaborateurs de Twitter n’épousent pas ses aspirations libertariennes et que de multiples incertitudes rendent la mariée moins désirable. En réalité Twitter et les autres plateformes sociales affrontent de multiples défis, qui tiennent tout à la fois à leur modèle économique, aux rapides changements d’habitude de leurs utilisateurs et aux mutations technologiques annoncées. Moins riche qu’un Meta, moins dynamique que TikTok, Twitter doit élargir et stabiliser ses sources de revenus tout en cultivant sa différence. Un défi exigeant qu’Elon Musk ne semble plus prêt à relever.

Par Julien Malbreil, Partner chez Antidox