« Elon Musk face au défi de la rentabilité de Twitter » par Julien Malbreil

L’actualité s’avère très riche pour Twitter ces dernières semaines. Après beaucoup de menaces et de volte-face, Elon Musk s’est finalement résolu à acheter la plateforme de microblogging pour la somme rondelette de 44 milliards de dollars, soit 54,20 dollars l’action. Nous avions indiqué il y a quelques semaines dans cette publication que le milliardaire sud-africain cherchait à revenir sur son offre d’achat, notamment en faisant valoir que le nombre d’utilisateurs réels ne correspondait pas aux chiffres de la direction de Twitter en raison de l’existence d’un nombre indéterminé de faux comptes. Mais faute d’avoir pu prouver ses allégations, et poursuivi par le réseau social qui entendait qu’Elon Musk tienne pleinement ses engagements, ce dernier s’est résolu à confirmer son achat. 

Un prix d’achat élevé dans une conjoncture difficile

Le prix astronomique déboursé, les caractéristiques du financement de l’acquisition comme la personnalité de l’entrepreneur imposent de profonds bouleversements à Twitter. En effet si le milliardaire a mis dans l’opération environ 27 milliards de dollars de sa fortune personnelle, notamment par grâce à la vente d’actions Tesla, il a aussi assuré le financement par des emprunts bancaires à hauteur de 13 milliards de dollars, lesquels sont adossés à Twitter, qui devra donc en supporter la charge financière (un milliard de dollars par an) comme le remboursement. Or jusqu’à présent la plateforme ne s’est jamais illustrée par de brillants résultats financiers : elle a perdu de l’argent en 2021 malgré un marché de la publicité porteur, tout comme durant les 3 premiers trimestres de 2022. Facteur aggravant, le marché publicitaire souffre du contexte économique assombri et les revenus afférents devraient se tarir dans les mois qui viennent. Une évolution qui impacte l’ensemble des plateformes de réseaux sociaux, mais qui menace plus lourdement les plus faibles. 

Des mesures douloureuses pour diminuer les frais

Face à ces défis, le natif de Pretoria ne semble pas vouloir faire dans la demi-mesure. Ses décisions reflètent à la fois sa vision du réseau social mais résultent aussi de l’impérieuse nécessité pour lui de rentabiliser son investissement, même s’il affirme régulièrement que cet acquisition ne vise pas à lui faire gagner de l’argent. Il compte ainsi réaliser des économies sur les frais d’infrastructure à hauteur de 1 milliard de dollars par an. Si l’impératif financier se comprend, l’impact sur la fiabilité de la plateforme pourrait être notable. Surtout il a licencié l’équipe dirigeante, ce qui peut se concevoir, mais il s’est surtout séparé par des méthodes expéditives de près de la moitié du personnel, soit environ 3.700 salariés, dont des ingénieurs et des personnes importantes à la bonne marche de l’entreprise. Avant une tentative de faire machine arrière pour les postes les plus sensibles. En plus des économies sur la masse salariale qu’il compte ainsi réaliser, sa décision reflète une véritable défiance envers les collaborateurs, qu’il soupçonne d’oisiveté et de n’être pas favorables aux changements qu’il entend apporter dans le fonctionnement de la plateforme. 

Construire un nouveau business model

Il s’agit effet une véritable révolution systémique qu’Elon Musk entend imposer à Twitter, aussi bien culturelle que dans son business model. Sur le premier point, il s’attaque d’abord à la modération, qu’il juge excessive et inadaptée. « L’oiseau est libéré » a-t-il d’ailleurs tweeté en prenant le contrôle de l’entreprise. Sous-entendu : la cage de la modération doit s’ouvrir. Parmi les salariés remerciés, les équipes de modération, ainsi que les prestataires chargés de cette mission, ont payé un lourd tribut. Si cette politique correspond à l’idéologie libertarienne du milliardaire, elle ne va pas sans danger en faisant fuir les annonceurs qui craignent outrances et scandales à répétition. Plusieurs grandes marques ont d’ores et déjà interrompu leur présence sur le réseau social. Des risques juridiques ne sont pas non plus à exclure, notamment en Europe où la liberté d’expression est plus encadrée qu’aux États-Unis. Côté modèle économique, plusieurs changements sont à l’ordre du jour. L’objectif affiché ne manque pas d’ambition : multiplier les revenus par cinq d’ici 2028 pour les faire passer à 26,4 milliards de dollars. A l’instar des recettes prônées par d’autres plateformes, cette croissance doit se faire essentiellement par des revenus stables et non par la publicité, très liée à la conjoncture, puisque celle-ci devrait compter pour 45% des revenus globaux en 2028, contre 90% en 2020. Pour parvenir à cet objectif qui à ce jour parait irréaliste, Elon Musk table sur de nouvelles formules d’abonnement. Il a ainsi proposé d’étendre l’abonnement payant « Blue Verified » permettant d’authentifier l’utilisateur moyennant 8 dollars par mois. Lancé dans la précipitation, le nouveau Twitter Blue s’est avéré un fiasco : plusieurs comptes de marques ou de personnalités ont été détournés, et le service a dû être stoppé en urgence. Nouveau lancement programmé le 29 novembre. Espérons pour Twitter que la météo sera plus clémente à cette date !

Des défis complexes à relever

Ces multiples bouleversements présentent une image cocasse d’une acquisition réalisée dans la précipitation par Elon Musk, lequel n’a de toute évidence pas le temps de faire un état des lieux serein de la situation. Si ce n’est qu’il n’a pas exclu que le petit oiseau bleu ne fasse faillite sans action correctrice musclée dans les plus brefs délais. Sortie de la cote, Twitter ne risque en tout cas plus de correction boursière massive. Il n’en reste pas moins que son avenir apparait très incertain. La situation est partagée avec la plupart des entreprises de la tech, qui vivent mal la fin de l’argent facile : Meta, maison mère de Facebook, tout comme Snapchat vivent des moments douloureux. Elon Musk n’est pas le premier à réaliser que la trop grande dépendance au marché publicitaire se révèle une source de fragilité. Mais toutes les tentatives pour trouver des relais de croissance significatifs directement auprès des utilisateurs se sont révélés des échecs. Pas facile de l’obliger à mettre la main au pot. Reste qu’Elon Musk a fait preuve d’un talent rare dans ses autres activités et que Twitter jouit d’une réputation très exclusive et reste un moyen de communication privilégié des personnalités influentes. Si les défis pour le milliardaire sont considérables, il serait imprudent de parier sur son échec.

Par Julien Malbreil, Partner chez Antidox