« Lecornu VS Marvel : faux pays, vrai conflit » par Oumaïma Asri

“Je condamne fermement cette représentation mensongère et trompeuse de nos forces Armées.” Le 12 février, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, exprimait son mécontentement en réaction à un extrait du film “Black Panther : Wakanda Forever” du mastodonte Marvel.

À l’origine de cette réaction, un thread publié par le journaliste Jean Bexon, pointant des similitudes entre les uniformes des mercenaires fictifs et les soldats de l’opération Barkhane. Le bémol ? La scène d’ouverture du film se déroule lors d’un sommet des Nations-Unies, durant lequel la reine du Wakanda alerte quant à la détention du vibranium, ressource naturelle locale, par “des puissances mal intentionnées”, tout en pointant du doigt la représentante de la France. En parallèle, le réalisateur met en scène une unité militaire française tentant de mettre la main sur cette ressource, par effraction, au Mali. 

Une réaction provoquant l’hilarité, l’incompréhension, mais surtout, le débat. 

Fig.1 : Volumétrie globale relative à la circulation des co-évocations du film Black Panther et la réaction du ministre des Armées dans le périmètre linguistique francophone et à l’international (février 2023)

Le tweet du ministre (6.8k mentions) suscite en premier lieu l’incompréhension et les moqueries à l’échelle internationale : pourquoi s’attaquer à une œuvre fictive, qui plus est mettant en scène un pays fictif ? Pour certains, l’ironie d’une telle déclaration entre en contradiction avec le passé et la présence du pays en Afrique. Pour d’autres, cette prise de parole est considérée comme une nouvelle propagande antiaméricaine.

Parmi les réactions au tweet, certains pointent du doigt le choix de la source relayée par ce dernier, critiquant les prises de position et contenus d’extrême droite soutenus par le journaliste Jean Bexon, décrédibilisant de facto le contenu du thread.

Une nouvelle provocation de l’oncle Sam ?

Fig.1 : Volumétrie globale des mentions relatives à la notion de “french bashing” dans la sphère digitale, à l’international (février 2023)

Face aux critiques visant Sébastien Lecornu, un argument de défense arrive en tête : la résurgence du “french bashing”, ressentiment anti-français dont les origines remontent à l’après-guerre.

Ce terme marque les esprits pour la première fois en 2003, lorsque la France refuse de soutenir l’assaut militaire visant l’Irak, présenté par les Etats-Unis au Conseil de sécurité des Nations Unies. 20 ans plus tard, les tensions cristallisées refont surface, cette fois-ci dans la sphère digitale.

Tensions exacerbées par le contexte actuel, marqué par une guerre informationnelle en Afrique. Alors que la France accuse la Russie de manipuler l’opinion publique sur son action au Sahel, le public déplore le manque de solidarité entre la France et les Etats-Unis pour contrer la rhétorique du Kremlin.

Simple œuvre cinématographique ou propagande antifrançaise ? Du côté du ministère des Armées, la réponse est claire : « Il ne saurait y avoir de révisionnisme sur l’action récente de la France au Mali. » Et au ministère d’ajouter : “nous sommes intervenus à la demande du pays pour lutter contre les groupes armés terroristes, loin de l’histoire racontée dans le film, à savoir une armée française qui vient piller ses ressources naturelles. »

Cet exemple prouve une nouvelle fois le rôle stratégique d’un soft power qui n’est plus si doux. Il y a quelques mois, le président de la République intégrait l’influence parmi les « fonctions stratégiques » de la défense, à l’occasion de la revue nationale stratégique (RNS) présentée en novembre 2022.

 

Par Oumaïma Asri, Consultante chez Antidox