Quelle influence du conflit au Haut-Karabagh sur X ?

Le 19 septembre dernier, après un blocus de 10 mois, l’histoire s’est brutalement accélérée pour les habitants du Haut-Karabagh, la région à majorité arménienne enclavée en Azerbaïdjan. Trois ans après le conflit de 2020, qui a vu s’opposer les forces azéries, soutenue par la Turquie, à celle de la République auto-proclamée de l’Artsakh (l’autorité gouvernant de facto le Haut-Karabagh), soutenue par l’Arménie, l’armée azérie a de nouveau lancée une offensive militaire sur le Haut-Karabagh, qui s’est soldée en quelques heures par la reddition totale de la région autonome. L’occasion de voir comment les publications sur X sont révélatrice de l’importance des réseaux sociaux dans les conflits contemporains.

Nombre de publications sur X mentionnant l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh et la République d’Artsakh ces trente derniers jours

OSINT et influence en ligne

Sur X, du fait de l’émergence de nombreux comptes OSINT dédiés à l’analyse des conflits, il est possible de suivre l’avancement des événements en temps réel, mais aussi la promotion de certaines puissances révisionnistes, comme la Turquie, la Russie, ou encore l’Azerbaïdjan.

La diffusion de false flag, ou d’opération sous fausse bannière, est une des exemples des opportunités qu’offrent les réseaux sociaux dans l’appréhension des conflits contemporains.

Dans le cas du Haut-Karabagh, on observe ainsi la diffusion d’une attaque par le compte OSINT pro-turc et pro-azéri Clash Report (252,4k abonnés), dans la matinée du 19 causant six morts azéris dans un attentat. S’il n’est pas certain que cette attaque soit en réalité une opération déguisée de l’Azerbaïdjan, elle sert de prétexte au déclenchement d’une opération anti-terroriste de grande ampleur – ou plutôt d’une dernière offensive afin de chasser les Arméniens du Haut-Karabagh.

Seulement quatre minutes après la publication du tweet de Clash Report, les comptes OSINT neutres ou pro-arméniens ont commencé à publier des vidéos depuis Stepanakert, la capitale du Haut-Karabagh, dans lesquelles on entend distinctement des bombardements, des sirènes, et le bruit caractéristique des drones israéliens Harop, qui ont largement participés au succès des forces d’Azerbaïdjan en 2020.

L’instantanéité et la viralité de ces contenus illustrent donc toutes les possibilités de manipulation de l’information dans les conflits d’aujourd’hui.

Un conflit qui révèle une fracture dans la classe politique française

Mais cette instantanéité et viralité est aussi à l’origine de l’écho tout particulier que reçoit le conflit dans les pays occidentaux du fait de la grande diaspora arménienne, notamment présente aux Etats-Unis, en Russie et en France. De fait, les tweets les plus engageants sur l’Arménie, l’Azerbaïdjan et le Haut-Karabagh sont ceux de personnalités publiques prenant positions en faveur de l’Arménie :

En France, le conflit est particulièrement mis en avant par des personnalités du gouvernement, de droite ou d’extrême-droite, ces dernières affichant une solidarité avec les chrétiens d’Orient. Sur L’influenceur le plus influent sur la situation au Haut-Karabagh est Jean-Christophe Buisson, journaliste au Figaro, qui sur une période de trente jours a publié 223 tweets sur le sujet, avec une moyenne de 678 engagements par mentions. D’autres personnalités, comme Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône, Gilbert Collard, François-Xavier Bellamy et Nathalie Loiseau, tous députés européens, ont également publié sur le sujet en suscitant plusieurs centaines d’engagements par mentions. Parmi les volontés exprimées dans ces publications de ces influenceurs politiques, on retrouve principalement des condamnations, et des appels à l’action lancés à la France et l’Union Européenne.

Il faut noter que dans cette frange politique, on dénonce un conflit religieux : sur les dix publications les plus engageantes sur le sujet, deux font références aux chrétiens, et trois publications – dont la publication la plus engageante – sont de SOS Chrétiens. Pour autant, nombre de chercheurs et d’historiens ont d’abord mis en avant les origines territoriales du conflit, et la question des ressources gazières et pétrolières d’Azerbaïdjan qui alimentent l’Europe, au bénéfice de la Turquie et de l’Azerbaïdjan.

Pour autant, à gauche, si plusieurs personnalités ont exprimé leur soutien aux Arméniens, les engagements sont bien moins importants, ce qui s’explique en partie par une mobilisation bien plus importante à droite, et notamment chez les défenseurs des chrétiens d’Orient, en faveur des Arméniens.

Un avenir en suspens

Au-delà des considérations politiques internes à la France, la situation au Haut-Karabagh est hautement préoccupante pour l’avenir de l’Arménie, avec la volonté exprimée par les pouvoirs turc et azéri de créer un corridor azéri au sud de l’Arménie le long de la frontière irano-arménienne, ce qui, en cas de refus de d’Erevan, ne manquerait pas de raviver les tensions dans la région.

L’affrontement de 2020 avait déjà vu son lot de crimes de guerre perpétrés par les soldats de Bakou, avec la diffusion notamment sur Telegram d’exécutions et d’actes de tortures envers des prisonniers de guerre arméniens. Ces images sont sans encore dans la tête des près de 100 000 arméniens ayant fui le Haut-Karabagh depuis le 19 septembre, sur une population totale de 120 000 personnes. Les diffusions récentes de vidéos de profanations d’églises et d’arrestations de figures publiques du Haut-Karabagh laissent présager le pire pour les Arméniens choisissant de rester.

Par Guénolé Reucheron