“Un jour sans nous !” par Hamama Naïli

Il y a quelques jours, la journée du 8 mars, dédiée à la lutte pour les droits des femmes, a été célébrée à travers le monde. Sur les réseaux sociaux, les discussions ont fleuri, mais en cette année 2024, une interrogation persiste : les revendications sociales des femmes sont-elles véritablement au cœur des débats en ligne ?

Pour saisir pleinement le sens du 8 mars, il est essentiel de remonter aux origines de cette journée, façonnée par des idéaux et des mouvements progressistes.

Le 8 mars trouve son origine dans les mouvements socialistes qui ont œuvré pour instaurer la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Aux États-Unis, dès 1909, une « Journée nationale des femmes » était organisée, une initiative attribuée à Theresa Serber Malkiel, une ouvrière socialiste juive américaine. À la IIe conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague en 1910, Clara Zetkin, une militante allemande, a proposé l’idée d’une journée dédiée aux droits des femmes. Bien que la date du 8 mars n’ait pas été fixée à ce moment-là, l’idée de mobiliser les femmes « en accord avec les organisations politiques et syndicales du prolétariat dotées de la conscience de classe » était déjà présente.

En URSS, cette journée a rapidement pris de l’ampleur, d’abord par la « Journée internationale des ouvrières » qui a été célébrée le 3 mars 1913, et le 8 mars 1914. Puis, les manifestations des ouvrières à Petrograd, le 8 mars 1917, ont été considérées comme le point de départ de la Révolution russe. La date du 8 mars a été officiellement adoptée en Union soviétique à partir de 1921.
Après 1945, de nombreux États décident de célébrer le 8 mars, aboutissant finalement, en 1977, à la proclamation de la Journée internationale des femmes par les Nations Unies.

En France, François Mitterrand a officiellement reconnu la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars 1982, à l’initiative d’Yvette Roudy, alors ministre déléguée aux Droits de la femme, et du Mouvement de libération des femmes, marquant un tournant important dans la lutte pour les droits des femmes.

Aujourd’hui, le 8 mars est ancré dans la société française et offre l’occasion de rappeler que l’égalité entre les femmes et les hommes est un enjeu du quotidien. Sur X (ex-Twitter), cette journée a suscité des débats, parfois éloignés de sa véritable nature.

Plus de 24,2 K messages ont été publiés le 8 mars 2024 en lien avec la Journée, mais les principaux sujets de discussion ne reflétaient pas les luttes sociales et les revendications visant à « gagner l’égalité réelle au travail et dans la vie », telles que défendues par les syndicats et les collectifs féministes.

Courbe des mentions liées au 8 mars sur X

Les discussions les plus animées ont porté sur les incidents survenus lors de la manifestation à Paris. En dehors des expressions « droits des femmes » et « internationale des droits », inhérentes à la Journée, les tensions au sein du cortège parisien ont été au cœur des débats. En effet, la marche pour les droits des femmes a été fortement marquée par les événements en cours au Proche-Orient, donnant lieu à des affrontements violents entre des militants pro-palestiniens et le Service de protection de la communauté juive. Un sujet qui a été largement discuté par des comptes influents des sphères de l’ultra-droite et de l’ultra-gauche, qui se sont mutuellement blâmés pour les heurts survenus, façonnant ainsi leur propre récit sur le déroulement de la manifestation pour les droits des femmes.

Nuage des mots-clés les plus associés à la journée du 8 mars sur X

Un autre aspect à souligner dans cette analyse concerne le traitement réservé par les personnalités politiques à cette journée. Les champs lexicaux associés au 8 mars présentent des disparités marquées, reflétant ainsi leur position sur l’échiquier politique.

Les représentants de la majorité présidentielle se sont principalement exprimés sur la cérémonie place Vendôme pour sceller la constitutionnalisation de l’IVG. Cet événement historique, signe « l’aboutissement de ce combat collectif » comme l’a affirmé le président de la République, et a été abondamment salué par des membres du même courant politique, telles que Yaël Braun-Pivet, Nathalie Loiseau, Aurore Bergé, Valérie Hayer ou encore Éric Dupond-Moretti.

Du côté de l’extrême droite, les perspectives identitaire et sécuritaire sont prégnantes. Les figures politiques ont focalisé leur discours sur les violences subies par les femmes françaises, les attribuant à “l’immigration” ou au “multiculturalisme”. Parallèlement, le même jour, une tribune intitulée « Touche pas à ma fille ! », à laquelle Marion Maréchal a apporté sa signature, a été publiée dans Le Journal du Dimanche le même jour. D’ailleurs, ce sujet a fait l’objet de 4 900 posts sur X, relatant un déclin de la sécurité des femmes et de la montée de l’immigration.

Dans les messages publiés par les représentants politiques situés à gauche, nous observons une prépondérance de termes étroitement liés au militantisme et au syndicalisme. On y retrouve ainsi une série de mots et d’expressions, signes d’une appartenance collective de gauche, tels que : “les luttes, l’égalité, la justice, les revendications, l’égalité salariale, les droits conquis et à conquérir, le combat continu”.

En revanche, sur Instagram, la tonalité des messages était plus en phase avec l’esprit de la journée. Avec plus de 4 400 publications générant plus de 400 000 likes et 9 000 commentaires, la plateforme a été le théâtre d’une discussion plus centrée sur les questions d’égalités entre les hommes et les femmes, la lutte contre les inégalités salariales, ainsi que la dénonciation des violences sexistes et sexuelles. Les utilisateurs d’Instagram semblent utiliser la plateforme comme un espace pour s’éduquer et agir sur les enjeux sociétaux, illustrant le potentiel des réseaux sociaux dans les mobilisations.

Cette disparité de traitement trouve son origine en partie dans l’utilisation spécifique de chaque plateforme. Instagram se présente comme un lieu où les enjeux sociaux et sociétaux contemporains sont mis en avant. Selon l’étude Trend Report d’Instagram, les utilisateurs affirment utiliser la plateforme pour s’éduquer à des questions sociales, pouvant mener à de réelles actions militantes. En l’occurrence, d’après les données recueillies, 52 % des utilisateurs interrogés assurent suivre activement des comptes engagés dans la promotion de la justice sociale et de l’activisme.
Cette divergence entre X et Instagram soulève des questions importantes sur la manière dont les plateformes sociales influencent les débats publics. Alors que X peut parfois favoriser des échanges polarisés et unilatéraux, Instagram semble offrir un espace plus propice à la sensibilisation et au militantisme.

Bien que les discussions en ligne puissent parfois dévier de ses objectifs initiaux, cette journée continue d’inspirer des actions et des réflexions sur l’égalité femmes-hommes.
Cette journée, dans son essence même, incarne un symbole d’espoir pour les luttes sociales des femmes. Cette année, plusieurs collectifs féministes et syndicats, dont la CGT et la CFDT, ayant élu à leur tête en 2023 deux femmes : Sophie Binet et Marylise Léon, ont appelé à une grève féministe pour revendiquer l’égalité salariale et la valorisation des métiers majoritairement féminins, particulièrement dans les secteurs du soin et du lien social. Des secteurs en tension, mais indispensables à la société. Alors que ces appels ont été timidement discutés sur X, avec 728 mentions, ils ont largement trouvé écho dans les médias, surtout dans la presse quotidienne régionale qui a couvert les manifestations locales et encouragé la mobilisation avec pour mot d’ordre « Un jour sans nous !”.