Entre séduction et désinformation : les réseaux sociaux au cœur des élections européennes de 2024

L’utilisation des réseaux sociaux dans les campagnes électorales aura marqué un tournant depuis la campagne présidentielle américaine de 2016. Les élections européennes de juin prochain n’échappent pas à la règle de leur utilisation massive par les candidats. Alors que les “deepfakes” et autres instruments de désinformation se multiplient dans l’espace digital, les candidats s’approprient les codes des nouvelles plateformes pour séduire un électorat jeune et se démarquer dans une élection souvent délaissée par la population française.

TikTok, nouvelle arène de la communication politique

Souvent présentée comme une élection mal-aimée des Français, les élections européennes, après une baisse de la participation enregistrée ces dernières années, regagnent peu à peu le cœur des électeurs. En 2019, la Commission européenne avait largement investi le terrain des réseaux sociaux dans l’espoir de mobiliser les jeunes et de les inciter à se rendre aux urnes. Après une abstention de 74 % des jeunes de 18-24 ans en 2014, la campagne “Le 26 mai, je vote aux élections européennes” de 2019 fut un pari réussi avec une augmentation de 14 points de la participation des jeunes au scrutin. Si cette année la communication autour des élections s’est faite plus timide, l’un des vice-présidents de la Commission européenne, Margaritis Schina, a lancé un appel à Taylor Swift, alors en tournée à travers l’Europe, pour inciter les jeunes à se rendre aux urnes le 9 juin.

Cette nécessité de mobiliser les jeunes électeurs n’a pas échappé aux candidats aux Européennes de 2024, qui ont trouvé leur nouveau cheval de bataille : TikTok. C’est notamment le cas de Jordan Bardella (qui compte pas moins de 1,1 million d’abonnés) très actif sur la plateforme. Le candidat RN y partage ses passages médiatiques et n’hésite pas à s’approprier les codes de la plateforme pour séduire et renforcer sa notoriété auprès des jeunes électeurs. Utilisation de l’humour ”POV : quand tu bois les larmes des macronistes”, annonce de ses meetings sur fond de musique techno, des extraits “en coulisse”… Le candidat n’hésite pas à se mettre en scène pour véhiculer une image jeune, accessible et proche des Français, loin de l’image sulfureuse du parti héritier du Front national.

Réel enjeu politique, l’utilisation même de TikTok est avancée comme un argument de campagne. Récemment, le candidat PS Raphaël Glucksmann annonçait se retirer de la plateforme chinoise (malgré ses 60 000 abonnés) par souci de cohérence avec sa ligne politique et son statut d’eurodéputé. En février 2023, la Commission européenne a interdit à l’ensemble de ses fonctionnaires d’avoir l’application sur leur téléphone professionnel en raison de craintes liées à la sécurité des données. L’eurodéputé, qui avait lui-même présidé une commission sur les ingérences étrangères en Europe, déclare “refuser de faire le mariole sur TikTok tout en dénonçant ces ingérences” et souligne qu’il n’hésitera pas à pointer ses opposants politiques au Parlement qui « surinvestissent cette plateforme », à l’image du président du Rassemblement national.

Régulations et contre-attaques : sur X, la désinformation fait rage

Si les réseaux sociaux se trouvent être de merveilleux outils de communication en période électorale, ils n’en sont pas moins des espaces propices à la diffusion de fausses informations, de discours polarisants et de manipulation de l’opinion publique. Afin de prévenir ces risques, les différentes instances de contrôle se sont rapidement emparées des modalités des campagnes électorales. En juillet 2023, la Commission nationale des comptes de campagne annonce que si la pastille bleue (autrefois synonyme de notoriété et légitimité sur la plateforme, désormais symbole d’un abonnement payant) permettait d’accroître la visibilité, elle est désormais considérée comme une nouvelle modalité de sponsorisation publicitaire et donc interdite en période de campagne électorale. Mais la sponsorisation est loin d’être la seule fonctionnalité qui inquiète les autorités. Fin mars, la Commission européenne a demandé aux plateformes d’identifier très clairement les contenus générés par intelligence artificielle, afin de lutter contre la désinformation durant la campagne électorale. En cas de manquement, l’exécutif européen pourra lancer une enquête contre la plateforme qui ne respectera pas ces mesures et lui infliger une amende allant jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires mondial. Une première mondiale.

Mais la bataille de l’information ne prend pas toujours racine auprès des nouvelles technologies : récemment, la candidate Renaissance, Valérie Hayer, a été victime d’une campagne de désinformation lancée sur le réseau social X par un militant du Rassemblement national. Une affiche de campagne avec le portrait de la candidate, reprenant les codes graphiques du parti, et un slogan “Nous avons besoin d’un impôt européen”. Si l’affiche semble tout à fait réaliste, le logo du parti y est absent. Et pour cause : il s’agit en réalité d’une fausse affiche de campagne, détournée pour décrédibiliser la nouvelle tête de liste du parti et brouiller le message politique. Si ces techniques peuvent paraître discutables, elles sont désormais partie intégrante d’une campagne en ligne et ne sont pas exclusivement pratiquées par les militants du parti à la flamme. Début mars, une affiche aux couleurs du Rassemblement national avait également été partagée sur X annonçant un “grand meeting de soutien à Vladimir Poutine” organisé par le parti. Si ces affiches parodiques ne sont pas forcément illégales, elles participent néanmoins à semer la confusion dans la tête des électeurs.

Quel impact ont réellement les réseaux sociaux sur une élection ? Si la réponse reste partielle, on peut toutefois affirmer que les réseaux sociaux :

– permettent une diffusion rapide de l’information ;
– créent un sentiment de proximité des électeurs avec un candidat grâce à une communication directe ;
– renforcent l’engagement des électeurs dans la campagne, en leur permettant d’y participer directement à travers leurs écrans.

Si les campagnes de désinformation, les bulles informationnelles et les manipulations par des acteurs externes représentent un risque pour la démocratie, les réseaux sociaux sont aujourd’hui un outil de communication incontournable permettant de parler au plus grand nombre et, peut-être, de reconquérir le cœur des jeunes électeurs.