Rythmant nos comptes Instagram depuis plus de 10 ans, le Like tire sa révérence. C’est en tout cas ce qu’a annoncé récemment la plateforme qui souhaite faire disparaître ce petit bouton en forme de cœur. L’objectif : favoriser le bien-être de ses utilisateurs et lutter contre certains effets négatifs liés au sentiment de dépendance. En expérimentant ce nouveau paramétrage, Instagram supprime de fait le principal critère de « notation » des contenus.
Si en 2020 l’application avait déjà testé une disparition des Likes pour une poignée d’utilisateurs, cette expérimentation n’avait pas tenu ses promesses en raison de son caractère subi et non généralisé à l’ensemble de la communauté. Mais le 14 avril dernier, Instagram a fait un pari fondamentalement différent : celui de laisser le choix à ses utilisateurs de faire apparaître ou non le bouton. Ils pourront alors eux-mêmes décider s’ils souhaitent que leurs abonnés ne puissent plus liker leurs publications et/ou ne plus voir les Likes sur les publications des autres utilisateurs. Une (r)évolution qui risque bien de transformer notre manière de consommer les réseaux sociaux mais aussi de les utiliser comme vecteur de communication.
Mettre fin à la dictature du Like
Depuis des années, sur Instagram comme sur les autres plateformes, chaque utilisateur peut réagir à un contenu en likant, commentant ou partageant. Ce modèle d’interactivité est inscrit au cœur même de l’ADN même des réseaux sociaux, le Like représentant alors une véritable pierre angulaire de leur fonctionnement. Nombreux sont ceux qui attendent avec impatience de recevoir une pluie de cœurs lors de la publication d’un nouveau contenu. Chaque jour, ce ne sont pas moins de 4,2 milliards de Likes qui sont comptabilisés sur la plateforme !
Un phénomène de la course aux Likes qui va de pair avec son lot de dérives psychologiques. Des études ont en effet démontré que cette recherche toujours plus grandissante de la popularité de ses contenus engendre du stress et de l’anxiété chez les individus. Une étude menée par le Pew Research Center a démontré que près de 40% des adolescents utilisant Instagram se sentaient « obligés de ne partager que les contenus ayant rassemblé beaucoup de « likes » ou de commentaires ». Les jeunes seraient alors pris dans une quête effrénée aux likes. Le constat est similaire en France, où 69 % des internautes de la génération Z (15-24 ans) utilisent Instagram chaque mois. Les chiffres publiés en 2021 par l’Association e-Enfance, qui protège les plus jeunes face aux cyberviolences, sont également sans appel : 62% des adolescents se disent incapables de vivre sans leur smartphone plus d’une journée ! Un constat qui apporte son lot d’effets sur la santé mentale : troubles de l’humeur, sentiment d’avoir une vie moins bien que celle des autres, perte de confiance en soi ou encore sentiment d’angoisse.
Il s’agit là d’un vrai phénomène de société sur lequel s’appuie Instagram pour justifier son intention d’ « assainir » son réseau en diminuant la dépendance chez les personnes les plus vulnérables. Il y a quelques semaines déjà, la plateforme avait dévoilé une série de mesures visant à protéger les plus jeunes tout comme son intention de lancer une version pour enfants afin de les protéger des contenus non adaptés.
Comme l’explique Adam Mosseri, CEO d’Instagram, dans une interview pour la NBC, son souhait est que « les internautes s’inquiètent un peu moins du nombre de Likes qu’ils obtiennent sur Instagram et qu’ils passent davantage de temps à se lier aux personnes qui comptent pour eux ». Une démarche qui peut toutefois être questionnée, le réacteur du modèle économique de la plateforme consistant à faire consommer à ses utilisateurs toujours plus de contenus, comme avec la création des IGTV ou des Reels.
Un modèle de création de contenus à repenser
Indicateur phare de popularité d’un contenu, la suppression du Like aura très certainement un retentissement sur la manière de valoriser un contenu et par là, sur le déploiement de stratégies social media par les marques. Certains influenceurs et personnalités ont d’ores et déjà fait entendre leur opposition, notamment aux Etats-Unis où l’initiative est annoncée depuis plusieurs mois :
Pour d’autres, ce choix offert par Instagram de ne plus afficher les Likes peut également venir en appui de leurs prises de position, notamment pour les influenceurs ou marques qui prônent des valeurs comme l’acceptation de soi ou encore la valorisation de la différence. Dans un contexte où la responsabilité sociétale prend toujours plus d’importance aux yeux des citoyens, cette suppression du bouton peut faire office de preuve d’engagement au service d’une image de marque.
Cependant, ce virage peut surtout être vu comme une opportunité de repenser la manière de mesurer l’engagement et de redéfinir les critères de valorisation d’un contenu. Sans le Like, ce sont certainement les impressions, l’accroissement du nombre d’abonnés, mais surtout les commentaires et les partages qui prendront une place bien plus importante. Le grand défi des créateurs de contenus comme des marques sera alors de créer davantage d’opportunités de discussions et débats avec leurs abonnés. L’occasion de redonner ses lettres de noblesse à l’interactivité et surtout à la créativité des contenus. Car il est fort à parier que cela redéfinisse également l’algorithme d’Instagram qui ne pourra donc plus mettre systématiquement en avant les contenus récoltant le plus de Likes. Une véritable aubaine donc pour les créateurs de contenus qui utilisent le réseau social pour se faire connaître et mettre en avant leurs créations, souvent déçus de la moindre valorisation de leurs contenus sur la plateforme, à l’image du photographe Katz Sinding : « I’ll look at some shitty photographer’s Instagram and [they’ll] get like 8,000 fucking likes because [their] photos are very, very commercial. And then I’ll look at my photo, which is something I’m quite proud of, and it’s got 800 likes. So you’re like ‘alright, something’s wrong. What am I doing wrong? Am I a bad photographer? ».
Dans la lignée d’Instagram, Facebook et Youtube ont annoncé réfléchir également à une refonte de leur modèle, notamment en supprimant les dislikes sur la plateforme vidéo. Avec la mort du Like, assistera-t-on à un repositionnement des contenus social media vers toujours plus de créativité et d’interactivité ? C’est en tout cas une nouvelle donnée à prendre en compte dans notre manière de créer et de consommer du contenu. Reste encore à savoir si les utilisateurs seront prêts à renoncer à leur Like bien aimé.
Par Emeline Invernizzi, Consultante chez Antidox