« De l’importance d’être une femme à Matignon » par Pauline Cabanas

Après avoir laissé planer le doute 3 semaines durant, Emmanuel Macron a finalement nommé le lundi 16 mai Elisabeth Borne au poste de premier ministre. Rien n’étant laissé au hasard, il est intéressant de noter qu’elle a immédiatement été félicitée par le chef de l’Etat soulignant l’appellation « Madame la Première ministre » :

L’information est claire : une femme dirigera le gouvernement depuis Matignon. Les références aux termes « femme », « Edith Cresson », et les oppositions sur le terme « Premier ministre » vs. « Première ministre » sont notables. Le fait qu’elle soit une femme occupe visiblement les esprits, le terme atteignant des pics de mention à 63K et 73K, les 16 et 17 mai. 

La nomination d’une femme à Matignon crée du remous

Une comparaison entre les courbes d’audience des termes premier ou première ministre avec le terme femme, révèlent au moins deux corrélations ces dernières semaines.

Le premier correspond aux premières rumeurs et évocations de noms pour ce poste-là, suite à la réélection d’Emmanuel Macron. Le 26 avril, plus d’1K de mentions associent ces deux termes. 

Le terrain avait en effet largement été préparé plusieurs jours avant sa nomination. Le 25 avril, Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes invité sur BFMTV, confirme que le souhait du chef de l’Etat est d’avoir une femme à la tête du prochain gouvernement. Emmanuel Macron avait en effet déjà insisté, lors d’une interview sur France Inter, dans l’entre deux tours, sur la possible nomination d’une première ministre s’il était réélu. A noter que ce souhait n’est pas nouveau, puisqu’en 2017, Emmanuel Macron l’avait déjà évoqué, sans passer le pas :

Le deuxième pic correspond à sa nomination le 16 mai.

L’impression que les médias et les réseaux sociaux insistent sur le fait que ce soit une femme qui soit nommée, est bien une réalité, comme le démontre le nuage de mot suivant. Le terme femme est rattaché à “Borne”, “Elisabeth”, “Macron” et “ministre”, ce spectre confirme qu’il est très largement au coeur des conversations relatives à la nomination d’Elisabeth Borne sur le digital :

 

Ce bruit qui courait et s’est avéré juste, pourrait être interprété de plusieurs manières. C’est un fait rare, il est donc naturellement mis en lumière pour cette seule raison. Il suscite une attention particulière, parce qu’en France, bien que la politique soit un domaine qui se féminise, elle reste encore largement dominée par les hommes. Elle cristallise les débats sur la place de la femme de manière plus générale et crée donc un appel d’air. Il rappelle peut-être également que c’est la société française dans son ensemble, qui n’est pas encore complètement prête à accepter des femmes aux postes les plus élevés de l’Etat.

Sur le fond, le cœur des discussions sur le sujet analysé révèlent qu’effectivement, la nomination d’une première ministre ne va pas de soi et que toutes les raisons citées précédemment sont valables. Historiquement parlant, la seule expérience passée d’une femme à ce poste, est jalonnée d’actes sexistes caractérisés. Et, sociologiquement parlant, l’utilisation du terme femme, montre que la place de cette dernière au sein de la société française évolue, tout en soulignant le chemin qu’il reste encore à parcourir. 

L’appellation d’une femme nommée à Matignon pose question

Faut-il dire Madame la première ministre ou Monsieur le premier ministre ? Cette question n’est pas anodine puisqu’en son temps, Edith Cresson avait demandé, pour être traitée à l’égal des hommes, à être appelée Madame le Premier Ministre. A l’époque, c’était un marqueur fort pour effacer la question du genre face à celle de la fonction, des compétences et du mérite. 

L’Académie française a néanmoins dans un rapport publié en 2019, sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions, reconnu que la langue française devait s’adapter aux évolutions de la place des femmes au sein de la société. Elle confirme qu’il n’existe « aucun obstacle de principe à la féminisation des noms de métiers et de professions » et que l’usage des termes féminisés est aujourd’hui volontairement utilisé pour marquer cette égalité de traitement avec les hommes. Si cela paraissait « normal » en 1991 de nommer une femme Madame le premier ministre, il n’y a désormais plus rien de commun en 2022, à utiliser une telle expression à l’égard d’une femme.  

Comme le montre les deux courbes, le pic de mentions entre le 16 et 17 mai pour les deux termes sont quasiment à égalité : 

La courbe représentative des termes « premier ministre » est en partie composée des retombées liées au départ de Jean Castex, mais, il est à d’autres égards, directement appliqué à Elisabeth Borne, et volontairement utilisé comme un marqueur politique par certains :

 

 

Si le terme de femme est donc bien mis en avant dans les discussions sur les réseaux sociaux et la presse, la question de ses compétences est sans nulle doute également largement abordée. Reste qu’insister lourdement dessus pourrait aussi s’apparenter à une recherche d’arguments pour prouver sa légitimité pour le poste. Tout comme la référence aux autres femmes politiques ayant dirigé des gouvernements telles que Margaret Thatcher ou Angela Merkel. Depuis l’étranger, le traitement sur Twitter notamment met en avant l’aspect symbolique de sa nomination, le fait qu’en France, c’est la première femme nommée à ce poste depuis 30ans, pour marquer le progrès réalisé. 

Faire référence à la seule femme première ministre fait consensus 

Il faut faire appel à notre mémoire pour se rappeler quand, une femme, a occupé à un tel poste, il y a 31 ans. Edith Cresson est nommée par François Mitterrand en 1991 et reste 11 mois au gouvernement, qu’elle quitte très vite en raison principalement de nombreuses attaques sexistes de la part de la classe politique et des médias. 

Plusieurs éléments expliquent ce pic de mentions. Les propos sont clairs sur l’expérience d’Edith Cresson et le sexisme dont elle a fait l’objet, montrant qu’aujourd’hui, les comportements qui ont eu cours en 1991 à son égard n’ont ou ne doivent plus, a priori avoir cours. Il y a fort à parier que la sphère digitale sera acerbe, comme elle a pu l’être par exemple à l’encontre de M. Darmanin en février dernier lors de son interview face à Apolline de Malherbe sur BFMTV.

A ce nombre important d’évocations d’Edith Cresson qui s’explique statistiquement, étant la seule référence, s’ajoute le choix d’Elisabeth Borne de la citer dans son discours de passation de pouvoir : « Je suis évidemment très émue ce soir et je ne peux pas m’empêcher d’avoir une pensée pour la première femme qui a occupé ces fonctions, Édith Cresson ». A laquelle Edith Cresson a répondu en disant être « très touchée » avant d’indiquer que sa nomination est « un très bon choix, parce que c’est une personne remarquable, pas parce que c’est une femme ».

Laissons le mot de la conclusion à celle qui a donc précédé Elisabeth Borne, il lui faudra sans doute « beaucoup de courage ».

 

Par Pauline Cabanas, Consultante chez Antidox