« Affaire Magali Berdah-Booba ou comment repenser le marketing d’influence ? » par Inès Hadi

Prenez deux fauteuils, une montre connectée et une tendinite et on tient peut-être la séquence télé de l’année. Invitée pour un face-à-face par le journaliste Tristan Waleckx après un numéro de Complément d’enquête centré sur le « business des influenceurs », principalement issus de la télé-réalité, la défense de Magali Berdah, l’influente agent des influenceurs, a fait réagir sur les réseaux sociaux et les médias. Point culminant d’une polémique qui a débuté plusieurs mois auparavant, la viralité de cette séquence est le témoin d’une influence scrutée, critiquée mais surtout mise en scène par les différents acteurs concernés.

Du coup de com’ au signal d’alarme

Le 11 juillet 2022, le rappeur Elie Yaffa, plus connu sous le nom de Booba, appelle sur son Twitter aux témoignages. Son objectif ? Réunir suffisamment d’éléments pour constituer un dossier contre Marc Blata, candidat de télé-réalité et influenceur en produits financiers. Un homme au profil très éloigné des habituels adversaires médiatiques de “B2O”, tous rappeurs jusque là. 

Pourtant Marc Blata est dans le viseur de Booba et ses “pirates” depuis décembre 2021. La cause ? Un tweet du blogueur dans lequel il accuse Booba de porter une montre de contrefaçon. Sans doute ne s’attendait-il pas à la réponse des 5.8 millions d’abonnés de l’artiste et aux dénonciations à son encontre qui allaient suivre. Réunis sous le hashtag #blatarnaque, Booba et sa communauté s’improvisent enquêteurs et dénoncent les pratiques jugées douteuses de l’influenceur et de son agence en cryptomonnaies et de trading.

La viralité du hashtag, qui restera en tendance France des semaines durant, permet au sujet de s’ouvrir à d’autres internautes et d’offrir de nouvelles accusations citant de nouveaux noms d’influenceurs. Leur point commun : leur lien avec la télé-réalité et leur agent, Magali Berdah. Les critiques, souvent très virulentes, fusent alors contre la femme d’affaire, qui riposte en portant plainte pour cyberharcèlement contre Booba et obtient la fermeture du compte Instagram du rappeur.

La décision du réseau social provoque la colère de la communauté du rappeur qui se retrouve sur son compte Twitter et se rassemble désormais derrière un nouveau mot-dièse : #influvoleurs. En seulement 3 mois, ce hashtag sera mentionné plus de 133k fois sur les réseaux sociaux.

Organisée par Magali Berdah, la contre offensive ne se fera pas attendre. Aux accusations d’escroquerie, le camp Berdah rétorque celles de harcèlement. Résultat, une forte hausse de la couverture médiatique de chacun des acteurs de cette affaire, avec plus de 2.8M de mentions de “Booba” et 386k occurrences de « Magali Berdah” au cours des six derniers mois.

Une montre, une tendinite et un emballement médiatique

S’ancrant dans une posture de lanceur d’alerte, l’activité Twitter de Booba ne tourne plus qu’autour de son combat contre le “clan Berdah”. Si ses méthodes sont pointées du doigt et punies par des suspensions de comptes, le battage médiatique qui en résulte gagne l’intérêt des autorités et des médias plus traditionnels. Bruno Le Maire lui-même est également pris à partie sur les différents réseaux sociaux par les internautes et Booba. 

Après un été de clashs interposés, de suspensions de comptes et de mise en retrait, et alors que la justice se saisit de l’affaire en ouvrant le 6 septembre une enquête pour « pratiques commerciales trompeuses » contre Shauna Events, l’agence de Magali Berdah, France 2 annonce début septembre un numéro de Complément d’enquête censé révéler « le vrai business des influenceurs ».

L’émission, reprogrammée des suites du décès de la Reine Elizabeth, gagne l’intérêt des internautes, des accusateurs et des fans de Booba.  Diffusée en seconde partie de soirée, l’émission rassemble en linéaire près de 975.000 téléspectateurs et, chose plus exceptionnelle, tout autant en replay. La raison d’un tel succès se trouve probablement dans la séquence la plus reprise sur les réseaux sociaux : le face-à-face entre Magali Berdah et le journaliste de l’émission Tristan Waleckx. Face à la pugnacité du journaliste quant aux mises en avant par l’agent et ses influenceurs des pratiques de dropshipping, cette dernière finit par se défendre maladroitement et servir sur un plateau la séquence qui fera les beaux jours des conversations Twitter deux semaines durant. Confrontée à ce sujet par le journaliste sur sa promotion en story Instagram d’une montre connectée qu’elle ne portait pas, la fondatrice de Shauna Events s’est maladroitement justifiée en invoquant « une tendinite au bras ».

Entre le 12 et le 19 septembre, le mot dièse #tendinite a suscité plus de 94k mentions et 971k engagements.

Et pour cause, détournée par les téléspectateurs et les internautes, la séquence et le hashtag gagneront en portée lorsque dès le lendemain, entreprises, acteurs, humoristes ou encore clubs de sports s’en saisiront à leur tour. Une reprise appréciée par les internautes à en voir les engagements de ces publications.

La revanche des leaders d’opinion ?

Cette surmédiatisation de la séquence par les comptes d’influence plus traditionnels (médias, compte corporate, artistes, etc.) n’est pas anodine. Magali Berdah, de son propre chef, s’est voulue visage d’un marketing d’influence et a imposé sa définition d’une influence superficielle et de l’influenceur-vendeur, connotant ce terme et cette profession d’une réputation qui s’est dégradée ces dernières années.

Si certains leaders d’opinion traditionnels, à l’image d’artistes comme Booba ou de créateurs de contenu comme Squeezie, ont réussi à transformer leur notoriété en communauté active sur les réseaux sociaux, le fossé entre eux et les nouveaux influenceurs, pour beaucoup issus de la télé-réalité, se creuse. A tel point que cette pratique se cherche une nouvelle identité quitte à se réapproprier des termes délaissés : créateurs de contenu, leaders d’opinion, ambassadeurs ou encore trend setters. Plus qu’un conflit entre deux personnalités autour de montres, c’est un clash entre deux visions d’influence qui s’opposent.

D’autant que la génération Z, bien plus tournée vers les valeurs, engagements et les bonnes pratiques sur les réseaux sociaux que les précédentes, se désintéresse peu à peu des macro-influenceurs lifestyle au profit de la recherche d’expertises plus spécialisées.

Par Inès Hadi, Consultante junior chez Antidox