« Rachat de Twitter par Elon Musk : l’oiseau bleu dans la tourmente » par Pierre Bellagamba

Le 28 octobre 2022, Elon Musk annonce sa prise de contrôle effective du réseau social Twitter pour 44 milliards de dollars en tweetant « the bird is freed ».  Il devient ainsi le propriétaire d’un des plus grands réseaux de la planète. Avec ces quelques mots, Elon Musk marque le début d’une nouvelle ère pour la plateforme, entre tourments et rebondissements. Retour sur des débuts difficiles. 

Une prise de contrôle attendue et redoutée  

L’arrivée de l’entrepreneur a développé des réactions très fortes sur Twitter. Cette actualité a généré de l’espoir du côté conservateur et de nombreuses réticences chez les progressistes. Ce bouillonnement et cette polarisation est d’ailleurs clairement visible avec l’apparition de mots comme “Liberté”, “Panique”, “Gauchistes”, “Journalistes”, “Camp”.

Fig 1. Mots associés à Elon Musk dans l’espace digital francophone sur la période allant du 1er octobre au 8 novembre 2022

– 50% sur les collaborateurs : des licenciements qui passent mal

De ces premiers jours, on peut observer une relation difficile et clivante entre les internautes et le nouveau propriétaire du réseau social. Une relation alimentée par du trolling, et des annonces fortes comme celle concernant les licenciements d’une partie des équipes de la plateforme. On voit un premier pic lié au licenciement des dirigeants de Twitter le 28 octobre, puis un second bien plus fort lié au licenciement de la moitié du personnel le vendredi 4 novembre. 

Fig 2. Évolution du nombre de mentions du mot “licenciement” et “Musk” dans l’espace digital francophone sur la période allant du 1er octobre au 8 novembre 2022.

La modération au cœur de l’actualité 

L’arrivée d’Elon Musk a également créé des sentiments très forts liés à la modération, que ce soit au niveau de nouvelles règles, ou de l’équipe encore chargée de de cette mission.

Une exaltation importante naît du côté des militants de la droite radicale, stimulés par la promesse du nouveau propriétaire voulant “libérer la parole” et alléger la modération. Ils ont très vite testé les nouvelles limites en rouvrant des comptes, délaissant le réseau Truth Social créé par Donald Trump après son bannissement de Twitter. Cette réintégration n’a d’ailleurs pas manqué de générer des messages racistes, ou encore antisémites.

Fig 3. Évolution du nombre de mentions du mot “Modération” et “Musk” dans l’espace digital francophone sur la période allant du 1er octobre au 8 novembre 2022

Du côté de l’Union Européenne, la situation semble plus simple du fait de la législation. Twitter se doit en effet de respecter le règlement sur les services numériques (DSA) qui impose aux sociétés de la tech davantage de transparence, ainsi qu’une lutte active contre la désinformation. Un point que n’a pas oublié de rappeler le commissaire responsable du marché intérieur Thierry Breton.

Aux États-Unis, à cette crainte d’une vague de haine s’ajoutent des inquiétudes locales concernant les élections des midterms. D’abord du fait de l’orientation politique d’Elon Musk qui est devenu un Républicain militant, ainsi qu’une plus grande liberté donnée à la désinformation politique.

Les cadres de Twitter ont essayé de rassurer quant à la question de la modération. Elon Musk a même fait marche arrière publiquement en expliquant que son arrivée n’avait pas provoqué de vague de haine et que la modération allait être encore plus performante. La modération continue néanmoins d’inquiéter et ce malgré les différents tweets d’Elon Musk.

Fonctionnalités et rentabilité : un long chemin de croix

Pour rentabiliser son investissement, l’entrepreneur pense devoir transformer de fond en comble Twitter. Une nécessité d’autant plus forte que son arrivée a généré une baisse des revenus publicitaires pour la plateforme, avec une attitude attentiste puis de boycott de certains annonceurs. 

Pour inverser cette situation, Musk sème le chaos pour trouver de nouveaux revenus et réduire les pertes. Arrêtant du jour au lendemain certaines fonctionnalités, ou en ajoutant des nouvelles, sans test préalable. Il a proposé de mettre le badge bleu à 20 dollars, sans vérification d’identité. Somme qui est passée rapidement à 8 dollars grâce à une discussion Twitter.

Cette absence de vérification d’identité à provoqué l’hilarité de nombreux internautes qui ont moqué le nouveau fondateur en renommant leur compte “Elon Musk”. Un trait d’humour qui n’a pas plu au nouveau propriétaire

L’effet Mastodon : un concurrent qui a du mal à s’envoler

Entre les questions de certification, de modération qui inquiètent les entreprises et personnalités, de nombreux internautes cherchent un échappatoire. Depuis le rachat de Twitter, la plateforme Mastodon est présentée par les opposants d’Elon Musk comme une alternative crédible. Lancée en 2016, elle lutte à convaincre les utilisateurs, mais reste un point de pression intéressant contre Twitter. 

Fig 4. Récurrent du terme “Mastodon” dans l’espace digital francophone sur la période allant du 1er octobre au 8 novembre 2022 

On note qu’une majorité d’internautes ne considère pas sérieusement pour l’instant ce réseau social comme un potentiel remplaçant de Twitter. Cela s’explique en partie par une difficulté d’adaptation à l’interface peu ergonomique et du besoin de reconstituer leurs communautés. Une situation qui pourrait se confirmer, ou évoluer rapidement en fonction des frasques et décisions du milliardaire.


Par Pierre Bellagamba, Consultant senior chez Antidox