« Influence, gloire et opulence : la fin de l’âge d’or a-t-elle (enfin) sonné ? » par Sarah Boufatis

Face aux préjugés, aux fantasmes et aux incompréhensions, nous créateurs de contenu, tenions à vous dire qui nous sommes.  Voilà les premiers mots de la tribune signée par une centaine de créateurs de contenu, publiée à quelques jours du vote de la loi sur la régulation de l’influence, visant à encadrer le secteur. Entre craintes de voir “leur modèle se casser” et de voir naître des amalgames entre influenceurs et “influvoleurs”, le papier n’a pas tardé à faire polémique dans la sphère médiatique et sur la toile. En faisant de l’influence un outil de persuasion, le serpent ne vient-il pas de se mordre la queue ? 

La tribune : un levier d’influence incontournable pour le meilleur et pour le pire

La tribune, publiée dans le Journal du Dimanche (JDD), a rencontré un fort intérêt aussi bien dans la presse que sur les réseaux sociaux, avec près de 70k mentions sur le sujet depuis le 25 mars (toutes plateformes confondues, en France – source : Talkwalker). 

Sur le mot-clé “influenceurs”, le nuage de mots ci-dessous, échantillon représentatif des mentions les plus virulentes dans la sphère digitale, montre une exploitation accrue des termes de la tribune du JDD. On peut y lire les termes : “réseaux”, “loi”, “arnaques”, “argent”, ou encore “modèle”. 

Cet outil de persuasion peut en effet se révéler efficace pour faire peser la balance de l’opinion publique et politique de son côté, à condition d’être bien réceptionné par ses lecteurs. 

Une erreur de casting ? 

Plusieurs pointures du monde de l’influence ont ainsi pris part à ce projet, avant de se rétracter : Squeezie, Cyprien, Seb, Gotaga, Dr Nozman, l’ancienne Miss France Camille Cerf ou encore Enjoy Phoenix. 

Dans un tweet, le plus célèbre des Youtubeurs français Squeezie a d’ailleurs fait son mea culpa : “J’ai fait l’erreur de donner mon accord pour que mon nom apparaisse dans une tribune très maladroite, que je n’ai même pas lu avant publication”, a-t-il déclaré. “On m’a présenté cette tribune comme un moyen de nous défendre devant les lois trop extrêmes, qui auraient pu pénaliser à tort les honnêtes créateurs de contenu”. 

Un texte qui a fait plusieurs millions de vues, plus de 6k retweets et 103,9k likes. Selon lui, des signataires seraient en réalité eux-mêmes à l’origine du problème, citant, entre autres, les dérives liées à la promotion de la chirurgie esthétique ou encore des jeux d’argent. L’escalade continue avec de nouvelles prises de parole d’autres créateurs de contenu pour expliquer leur désistement : “Je n’ai jamais signé un truc du genre et je pense que c’est la même chose pour au moins 90 % de la liste”, plaide le streamer français Gotaga, spécialisé dans l’e-sport et le jeu vidéo, après avoir été interpellé par un internaute sur Twitter. 

De nombreux internautes mettent en effet en cause les comportements problématiques des influenceurs et accusent les signataires de refuser tout cadre légal. “Arnaques, contrefaçons, pratiques commerciales douteuses, certains ont fait croire ces derniers mois qu’ils étaient représentatifs de notre secteur alors qu’ils ne représentent qu’une minorité”, peut-on notamment lire dans la tribune.  

L’influenceur influencé ?

La crise de confiance dans le monde de l’influence ne date pas d’hier. Les polémiques autour des “influvoleurs”, du manque de transparence et de cadre législatif autour de leurs pratiques ne cessent de se multiplier dans la sphère digitale en particulier. Ce phénomène d’indignation à l’égard des influenceurs est notamment porté par l’un de leurs détracteurs, le rappeur Booba, qui s’est donné pour mission de les “démasquer” en commençant par Shauna Events, l’une des agences d’influenceurs les plus importantes en France dirigée par Magali Berdah. 

Mais cette crise de confiance commence également a coloré le cœur même de l’influence. Les influenceurs signataires auraient donné aveuglément leur accord pour voir leur nom apparaître sur la tribune, sur les conseils de leur agent respectif. 

“Me concernant, partage le Youtubeur et streamer Henry Tran, je n’ai rien signé. On m’a simplement demandé mon accord de principe d’appuyer un texte dans l’éventualité où des sanctions juridiques pénaliseraient sans distinction les arnaqueurs du web et les créateurs de contenu. Cet accord de principe je l’ai effectivement donné mais en pensant qu’on m’enverrait un document plus complet, comportant les tenants et les aboutissants du projet, à lire et à signer. Malheureusement, il semblerait que non.” 

“On a tous signé un texte avec deux ou trois échanges WhatsApp, ce qui est la honte pour nous”, a affirmé Seb, vidéaste, invité sur France Inter. 

Le texte, rédigé par l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (Umicc), aurait pourtant bien été transmis soit aux créateurs de contenus, soit à leurs agences, selon une source proche du dossier. Qu’il s’agisse d’une faute des agences ou d’un manquement des influenceurs, les internautes ont mis le doigt sur les limites du secteur et ses zones d’ombre encore trop nombreuses en France. 

Une rhétorique de la persuasion

De l’autre côté du tableau, le gouvernement s’est aussi exprimé sur les réseaux sociaux en jouant la carte de la persuasion et de la proximité avec les internautes. Olivier Véran, ministre chargé du renouveau démocratique et porte-parole du gouvernement, a ainsi publié une vidéo sur son compte TikTok (46,2k abonnés) intitulée : “Du nouveau pour les influenceurs”. Une communication pas si anodine que cela, puisque chaque jour, 7 millions de Français se rendent sur le 3e réseau social le plus visité de France (Médiamétrie), dont 3,4 millions de 15-24, soit la tranche d’âge la plus connectée au monde de l’influence. 

“Est-ce que c’est bon pour vous ?”, lance-t-il en souriant à sa communauté. Le porte-parole du gouvernement use ici d’une question rhétorique pour susciter l’adhésion de son auditoire qu’il tend à rassurer. Il met d’ailleurs de côté le langage soutenu pour laisser place à un langage familier, truffé d’expressions et de termes de la vie courante tels que : “On ne met pas tout le monde dans le même panier” ou encore “le mauvais influenceur, celui qui va tout bidouiller”. Un lexique de la proximité qui a suscité des milliers d’engagements sur la toile puisque la vidéo a généré 62,7k  likes et plus de 2k commentaires

Alors qu‘”un tiers des Français suit au moins un créateur de contenu et même 63 % des 18-25 ans”, rappelle la tribune, le monde de l’influence pourrait voir de plus en plus ses contours se durcir en vue de protéger le consommateur.