« Les gigafactories, un nouvel élan pour l’économie française ? » par Pierre Ballagamba

« À Douvrin, avec la gigafactory que nous venons d’inaugurer, nous touchons du doigt le monde industriel de demain : propre, technologique et compétitif. À la clé, 2 000 emplois d’ici 2030. » Bruno Le Maire

C’est avec ces mots que le ministre de l’Économie a inauguré la première gigafactory française dans le Pas-de-Calais ce mardi 30 mai. Cet événement s’inscrit dans une tendance plus large de course à la réindustrialisation lancée par la généralisation des véhicules électriques et le besoin de batteries.

Quatre projets sont en cours d’implantation dans les Hauts-de-France, la première région automobile du pays, qui espère ainsi se renouveler avec le secteur de l’électromobilité. Les enjeux et les défis de cette stratégie sont centraux pour l’avenir industriel de notre pays. Pourtant, l’ouverture de ces méga-usines pose de nombreuses questions et provoquent des réactions très diverses à travers le spectre politique. 

Un pari sur l’avenir de la mobilité

Les gigafactories sont des usines de grande taille, capables de produire des batteries électriques en grande quantité et à bas coût grâce à une robotisation très poussée. Le terme a été popularisé par Elon Musk et son groupe Tesla, qui a construit sa première gigafactory au Nevada en 2016 et plus récemment en Allemagne, à Berlin. Depuis, d’autres constructeurs ont suivi le mouvement, notamment en Chine, qui domine désormais le marché mondial des batteries avec plus de 70 % de part de marché et qui est également le premier marché des véhicules électriques avec 40% du total mondial. À défaut de conquérir le marché classique des véhicules automobiles, la Chine mise tout sur l’électrique depuis le début des années 2010. 

Face à cette concurrence autant dans l’informatique que l’automobile, l’Union européenne a décidé de réagir et de soutenir le développement d’une filière européenne des batteries. En 2017 une alliance européenne des batteries a été lancée avec l’idée d’avoir un écosystème industriel intégré, allant de l’extraction des matières premières à la fabrication des cellules et des modules, en passant par le recyclage. L’objectif est de couvrir au moins 30 % de la demande mondiale de batteries d’ici 2030.

La France fait partie des pays les plus actifs dans cette alliance avec quatre projets de gigafactories, tous situés dans les Hauts-de-France, la région qui concentre le plus d’emplois liés à l’automobile dans le pays. Ces projets sont portés par des acteurs majeurs du secteur : Stellantis (ex-PSA), TotalEnergies (via sa filiale Saft) et Mercedes-Benz.

Analyse du nombre de mentions des mots clés « gigafactory » depuis 1 mois sur Twitter.

La première gigafactory française a été inaugurée en grande pompe par le gouvernement le 30 mai 2023 dans le Pas-de-Calais. Il s’agit d’une coentreprise entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz, baptisée « Automotive Cells Company » (ACC). Elle a bénéficié d’un investissement de 1 milliard d’euros et devrait employer 1 000 personnes en 2025. Elle produira entre 250 000 et 300 000 batteries par an, destinées aux véhicules électriques et hybrides rechargeables du groupe Stellantis et de Mercedes-Benz.

Les trois autres gigafactories tricolores devraient ouvrir en 2024 et 2025. La première sera implantée à Douai avec le groupe chinois Envision AESC et fournira des batteries à Renault. Elle représente un investissement de 1 milliard d’euros et devrait créer 1 500 emplois. La seconde sera installée à Dunkerque (Nord) par la start-up française Verkor, qui s’est associée à Renault et Schneider Electric. Elle mobilisera 1,5 milliard d’euros et emploiera 2 000 personnes. Et la troisième, sera construite par le taïwanais Prologium à Dunkerque. 

Ces quatre gigafactories sont censées répondre à la demande croissante de batteries pour les véhicules électriques, qui devraient représenter plus de la moitié du marché automobile européen en 2030. Elles permettent aussi à la France de réduire sa dépendance aux importations de batteries asiatiques, qui représentent actuellement la majorité du marché européen.

La ministre de la Transition énergétique était présente à Douvrin pour vanter l’aspect environnemental de cette nouvelle politique industrielle.  

 

Une stratégie qui interroge 

Les gigafactories ne sont pas seulement des usines de production de batteries. Elles sont aussi le point de départ d’une nouvelle filière industrielle, allant de l’extraction et traitement des matières premières (lithium, cobalt, nickel…), la fabrication des composants (électrolytes, cathodes, anodes…), l’assemblage des cellules et des modules, le recyclage et la réutilisation des batteries en fin de vie. Cette filière représente un potentiel de valeur ajoutée pour le territoire et de création d’emplois avec plus de 20 000 emplois créés d’ici 2030 dans cette « vallée de la batterie » dans les Hauts-de-France.

Cette politique repose sur un plan d’investissement public et sur une mobilisation de tous les acteurs : l’Etat, qui a accordé des aides publiques aux projets de gigafactories ; les collectivités territoriales, qui ont mis à disposition des terrains et des infrastructures ; les entreprises, qui ont investi dans la modernisation de leurs outils de production ; les universités et les centres de recherche, qui ont développé des programmes dédiés aux batteries ; les syndicats et les associations, qui ont accompagné les salariés dans la reconversion professionnelle.

Mais les gigafactories françaises sont aussi un pari incertain sur l’avenir et elles doivent faire face à des défis de taille. Le premier défi est celui de la compétitivité et de l’emploi. Les batteries représentent environ un tiers du coût d’un véhicule électrique. Pour être compétitives face aux batteries asiatiques, les batteries européennes doivent donc réduire leur coût de production, tout en améliorant leur performance (autonomie, puissance, durée de vie…).

Pour y parvenir, les acteurs de la filière misent sur plusieurs leviers : l’innovation technologique, c’est-à-dire l’automatisation, qui permet de développer des batteries plus performantes et plus sûres ; l’économie d’échelle, qui permet de réduire le coût unitaire des batteries grâce à une production massive. Ce qui amène des critiques sur le “faible nombre” d’emplois créés par ces méga-usines en comparaison  avec le passé industriel de la France qui demandait une force nombreuse pour alimenter les usines durant toute la période de l’undustrialisation.

Exemple de critique quant au nombre d’emplois créés par les projets de méga-usines

Le second défi est celui de la durabilité. Les batteries sont souvent critiquées pour leur impact environnemental et social. Elles nécessitent en effet l’utilisation de matières premières rares et stratégiques, dont l’extraction pose des problèmes éthiques et écologiques. Elles consomment aussi beaucoup d’énergie lors de leur fabrication et de leur utilisation. Elles génèrent enfin des déchets difficiles à traiter en fin de vie.

Exemple du soutien de la députée européenne Europe Écologie Les Verts. Karima Delli conditionné à la mise en place de critères environnementaux plus stricts. 

Et le troisième et dernier défi est celui de la souveraineté car plusieurs de ces usines installées en France ou en Europe sont liées à des constructeurs non-européens, comme Tesla en Allemagne, ou des constructeurs chinois et taiwanais en France. Comme le note certains internautes, que se passera t’il en cas de nouvelle crise énergétique ? La décision d’arrêter ou non ces nouvelles usines en cas d’augmentation soudaine des factures énergétiques viendrait de directions non européennes, peu sensibles aux conséquences sociales locales.  

Exemple de critique concernant la dépendance européenne à des technologies étrangères

Pour répondre à ces critiques, les acteurs de la filière s’engagent d’un point de vue social et environnemental. Ils cherchent à sécuriser leur approvisionnement en matières premières, en diversifiant leurs sources et en favorisant le recyclage ; à réduire leur empreinte carbone, en utilisant des énergies renouvelables et en optimisant leur efficacité énergétique et à développer une économie circulaire. 

Les gigafactories françaises sont un projet ambitieux et prometteur dont l’avenir et les conséquences demandent à être confirmées !