Twitter métamorphosé : quels changements X apporte-t-il ?

Le 24 juillet dernier, Elon Musk a rendu sa liberté à l’oiseau bleu emblématique de Twitter, en rebaptisant la plateforme californienne « X ». Ce changement de nom du réseau social s’accompagne de profondes mutations dans sa stratégie, son fonctionnement, ses services proposés et sa contribution au débat dans la société. Ce tournant n’est pas anodin. Il intervient dans une période de difficultés pour Twitter, dont les revenus publicitaires ont chuté de moitié , et relève d’un projet de refonte du célèbre réseau social créé en 2006.

En stratégie de communication, le changement volontaire du nom d’une marque peut être motivé par différentes causes : 1) la mise en place d’une nouvelle stratégie d’entreprise visant à remobiliser les équipes ; 2) le lancement d’un nouveau produit ou service, ou un changement d’activité de l’entreprise ; 3) la survenue d’un scandale qui a mis à mal l’image de l’entreprise.

Il est intéressant de constater, en étudiant le cas de Twitter devenu X, que le réseau social répond peu ou prou à ces trois raisons. On peut dès lors se demander de quoi ce changement de nom est précisément le symptôme, et s’il n’augurerait pas, dans le contexte de désertion d’utilisateurs qu’elle connaît actuellement, un avenir laborieux pour la plateforme.

Un nouveau-né au sein de la nébuleuse Musk

Twitter abandonne son nom originel pour adopter la dénomination minimaliste de « X ». Cette lettre semble particulièrement appréciée d’E. Musk, au point d’être intrinsèquement inscrite dans son histoire entrepreneuriale. X.com, plus tard devenu Paypal, était déjà le nom de la banque en ligne fondée par le quinquagénaire dans sa jeunesse. Certaines de ses entreprises, comme SpaceX ou xAI, portent également cette lettre dans leur nom. En avril dernier, le nom de la société de Twitter avait d’ailleurs été modifié pour provisoirement devenir « X Corp ». Et cette tendance va jusqu’à se refléter dans le prénom de son fils, qu’E. Musk a voulu baptiser « X Æ A-12 ». Par cette réforme nominale, on passe finalement du piaillement badin de l’oiseau bleu à un « X » noir et épuré, symbole chargé d’un sémantisme mathématique qui renvoie à un imaginaire du progrès technologique, en plus d’être une figure du croisement d’activités en un seul point de convergence : Musk lui-même.

Cette nouvelle appellation souligne la volonté du chef d’entreprise de changer le paysage d’Internet, à l’image de Facebook qui, devenu Meta en 2021, a voulu fonder un métavers, un univers virtuel au sein de l’univers physique. Par son investissement financier dans Twitter, l’entrepreneur a montré qu’il était conscient de l’importance d’un réseau social qui participe à la diffusion et l’amplification mondiales de grands événements, mouvements et scandales de société (qu’on pense, par exemple, aux hashtags #MeToo, #PrayForParis, etc.). Ayant voulu entrer dans l’arène des géants du Web, E. Musk doit désormais faire face à une concurrence acharnée sur un marché des réseaux sociaux en ébullition et aux offres de plus en plus similaires. À court terme, les coups médiatiques du milliardaire semblent porter leurs fruits : dans un post publié le 28 juillet dernier, E. Musk a déclaré que X avait atteint un nouveau record de 543 millions d’utilisateurs mensuels.

Reste à savoir si, en dépit des données encourageantes mises en avant par E. Musk, sa stratégie sera payante à plus long terme et dans tous les pays.
De fait, pour assurer la rentabilité d’une entreprise confrontée à une perte d’utilisateurs et de revenus, E. Musk parie sur la transformation du modèle d’affaires de Twitter, qui est essentiellement un business model publicitaire, en modèle d’affaires par abonnements.

Vers un réseau social multifonctionnel… mais à quel prix ?

La nouvelle dénomination laisse entrevoir que X devrait connaître de nombreux changements dans les mois à venir. Le contenu risque de devenir payant, dans une volonté de hiérarchiser les comptes des utilisateurs : ceux qui pourront bénéficier de tous les avantages de X seront ceux qui, appréciant le réseau et l’utilisant régulièrement, accepteront d’y mettre le prix pour en profiter pleinement. Il s’agit, à terme, de fidéliser une clientèle.

E. Musk ne cache en outre pas son intention de créer une « super-app » donnant accès à une multitude de services, y compris financiers, comme le paiement par téléphone, à l’image de ce que propose déjà WeChat, réseau social très populaire en Chine. Une formule payante de la plateforme, nommée d’abord Twitter Blue puis X Premium vient d’être mise en place, de même qu’un « programme de partage des revenus » des publicités pour les créateurs de contenus, comme l’avait annoncé le chef d’entreprise en début d’année. X devrait inévitablement inclure des outils financiers comme les paiements et le commerce en ligne. La communication sur le réseau va elle aussi s’étoffer avec de nouveaux outils. Après l’augmentation du nombre de caractères dans les posts et l’arrivée progressive d’articles journalistiques, le réseau social se verra ajouter une nouvelle fonctionnalité à sa collection : « Bientôt, vous pourrez passer des appels vidéo sans avoir à donner votre numéro de téléphone à qui que ce soit sur la plateforme », a déclaré Linda Yaccarino, directrice générale de X depuis mai 2023, dans une entrevue accordée cet été à CNBC au sujet de l’avenir de l’entreprise. Une information confirmée par E. Musk dans un post publié le 31 août sur X, dans lequel le milliardaire annonce que les appels vocaux et vidéo, prochainement intégrés aux Messages Privés (MP), fonctionneront sur les appareils Apple, Android et Windows.

Des outils toutefois déjà proposés par les réseaux sociaux concurrents : Meta, qui détient Facebook, WhatsApp et Instagram, a ainsi introduit les appels vocaux et vidéo sur Messenger en 2015 ; Snapchat les a quant à lui intégrés en 2016. L’équipe de direction de X n’a, pour l’heure, pas précisé la date de disponibilité de ces nouvelles fonctionnalités.

Mais, alors que depuis le 25 août, les réseaux sociaux sont soumis au règlement européen DSA (Digital Service Act), la nouvelle politique de confidentialité de la plateforme, qui doit entrer en vigueur le 29 septembre, indique aux utilisateurs que « sous réserve de [leur] consentement, X pourra collecter et utiliser [leurs] données biométriques à des fins de sûreté, de sécurité et d’identification », sans préciser quel type de données biométriques seront effectivement collectées. « L’annonce de X est une extension de l’exploitation en cours des utilisateurs de réseaux sociaux en vue d’obtenir des données personnelles susceptibles d’être utilisées à des fins de ciblage publicitaire », a expliqué à The Associated Press Stephen Wicker, un professeur en ingénierie électrique et informatique à l’université de Cornell aux États-Unis, à l’heure où les géants du numérique sont confrontés à des règles juridiques de plus en plus strictes, notamment au sein de l’Union européenne.

Les nouveaux dispositifs déployés sur X auront ainsi un double prix : un coût premièrement monétaire, et, surtout, une utilisation du réseau social au prix de la protection et de l’anonymat des données personnelles. Paradoxalement, cette collecte de données semble aller à l’encontre de la promesse d’un Twitter plus libre tant prôné par E. Musk.

Une plateforme en crise qui cherche à se renouveler sous l’ère Musk

La mutation de Twitter en X est symptomatique d’une tentative de renouveler l’image de la marque, fortement entachée par la polémique des « spam bots », des faux comptes automatisés, dont il est difficile d’évaluer le nombre et l’audience, qui imitent l’activité de personnes réelles mais qui sont programmés pour réaliser des activités malveillantes allant de la diffusion d’informations erronées à la promotion de projets lucratifs. Ces « spam bots », dont E. Musk entend se débarrasser, entravent le fonctionnement de cette agora mondiale que constitue Twitter / X dans son essence. La restriction de l’accès au contenu des utilisateurs par le biais d’un abonnement payant devrait garantir au chef d’entreprise d’avoir un public réel, véritablement existant.

Par ailleurs, les nombreuses évolutions engagées à grande vitesse depuis l’hiver dernier ont mécontenté internautes et annonceurs publicitaires. Utilisation restreinte de l’application X Pro (ex-TweetDeck) aux comptes certifiés, c’est-à-dire soumis à un abonnement payant , ou encore limitation du nombre de posts lisibles par jour en fonction du statut du compte et de son ancienneté… Ces évolutions, déjà actées ou simplement envisagées, déplaisent aux utilisateurs, dont un certain nombre, néanmoins croissant, décident de quitter la plateforme. L’arrivée d’E. Musk elle-même engendre colère et protestations. Ainsi, une étude publiée le 15 août dans la revue Trends in Ecology & Evolution montre que les défenseurs de l’environnement et du climat ont été particulièrement nombreux, plus encore que les comptes politiques, à quitter Twitter depuis octobre 2022. En avril 2023, seuls 52,5 % des comptes Twitter de militants écologistes étaient encore actifs, tandis que 79,4 % des utilisateurs politiques l’étaient encore. Des désertions que les chercheurs tentent d’expliquer par la prolifération de discours haineux et de fake news sur la plateforme et par l’engagement plus prononcé de la twittosphère de droite depuis la décision d’E. Musk de modifier la modération des contenus. « Si la direction de Twitter espère attirer de nouvelles personnes sur la plateforme, elle espère qu’elles suffiront à remplacer celles qu’elle continue de perdre », a déclaré Om Malik, partner à True Ventures, un groupe de capital-risque installé dans la Silicon Valley.

Les utilisateurs ne sont pas les seuls à quitter la plateforme. X est aussi confronté à un manque de soutien des annonceurs publicitaires, que l’on peut attribuer au style anticonformiste d’E. Musk, dont l’attachement à la liberté d’expression est souvent considéré comme un terreau fertile pour les théories complotistes, le harcèlement et la haine en ligne, ainsi qu’à ses pratiques commerciales non conventionnelles qui nuisent à l’image de la marque, ou encore à la faible portée du réseau social, par rapport à d’autres réseaux sociaux populaires comme Facebook et Instagram.

Classement des réseaux sociaux les plus populaires dans le monde en janvier 2023, selon le nombre d’utilisateurs actifs. Source : Statista

Faut-il pour autant prédire un abandon massif de X et plébisciter d’autres réseaux sociaux alternatifs, comme Threads, Mastodon, Spill, Bluesky Social, ou encore T2 ? Si l’on constate que l’image de X divise le public sous la forme classique du clivage politique gauche/droite, on peut supposer que le réseau social est susceptible d’attirer un nouveau public initialement réticent à le rejoindre. Ce qui se dessine à l’horizon semble ainsi être une recomposition de l’audience de X sur un fondement idéologique. Toutefois, dans un contexte de crise inflationniste et de ralentissement de la croissance économique dans le monde, l’impératif de l’abonnement payant risque de constituer une barrière infranchissable pour un grand nombre de clients potentiels. Qu’importe, peut-être, pour Elon Musk, dont l’objectif, derrière la métamorphose de Twitter en X, est sans doute moins la promotion de la liberté d’expression ou la recherche d’un accroissement du nombre d’utilisateurs, que la volonté de posséder un outil puissant lui permettant d’influer sur les cours de la bourse et de faire du lobbying politique et économique à l’échelle transétatique.

Par Claire Humblin