« Législatives 2022 : la politique à la recherche de nouveaux vecteurs de mobilisation des électeurs » par Alexandre Oger

Situation inédite ce dimanche. Ensemble ! a obtenu 245 sièges à l’issue du second tour des élections législatives, loin des 289 sièges nécessaires pour siéger en majorité absolue et appliquer aisément la politique défendue par le président réélu. Au même moment, la NUPES est devenue la deuxième force de l’Assemblée nationale avec 133 sièges tandis que le Rassemblement National a réalisé pour sa part une percée historique en obtenant 89 sièges.

À travers l’analyse de la conversation en ligne, nous revenons sur cette campagne qui a précédé des élections législatives aux résultats inédits.

Si une campagne électorale se mène traditionnellement sur le terrain, à travers des rencontres sur les marchés, des réunions publiques ou institutionnelles, les élections depuis la dernière décennie ont démontré qu’elle se joue aussi sur les réseaux sociaux. Devenus incontournables pour les politiques dans leur quête d’influence, ces derniers nourrissent toujours l’espoir de mobiliser par ces canaux un électorat jeune qui se détourne des affaires politiques.

Résultats des courses : la NUPES domine la conversation en ligne

Nombre de mentions des comptes Twitter des leaders d’Ensemble ! en violet (@emmanuelmacron), de la NUPES en rouge (@JLMelenchon) et du Rassemblement National en bleu (@MLP_Officiel) entre le 1er mai et le 18 juin 2022

Le constat est clair : avec 1,7 million de mentions sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon surplombe ses concurrents politiques comme Emmanuel Macron (1,4 millions de mentions) et Marine Le Pen (306k mentions). Nous notons ainsi un pic de mentions à tonalité négative pour Emmanuel Macron autour du 12 juin lorsque ce dernier est interpellé par une lycéenne sur la nomination de ministres accusés de violences sexuelles.

Mentions sur Twitter des forces politiques Ensemble ! en violet, de la NUPES en rouge et du Rassemblement National en bleu entre le 1er mai et le 18 juin 2022

L’analyse des conversations sur Twitter démontre là aussi l’avance de la NUPES qui, avec 4 millions de mentions pour 15,2 millions d’engagements, s’affiche comme la formation politique la plus commentée durant cette campagne. Ensemble ! et le Rassemblement National se placent en seconde et troisième position avec respectivement 2,4 millions de mentions (pour 8,4 millions d’engagements) et 946k mentions (pour 3,3 millions d’engagements).

Des stratégies politiques aux antipodes

Cette campagne numérique des législatives a démarré en trombe dès les premières minutes qui ont suivi l’élection d’Emmanuel Macron. Une forme de mobilisation est née, alimentée par les deux forces politiques arrivées en deuxième et troisième position (LFI et RN) espérant capitaliser sur la vague de dépit qui a suivi la réélection du président pour obtenir au moins suffisamment de sièges pour entraver son action.


A contrario, la stratégie du président (par extension de la majorité présidentielle) s’est davantage destinée à retarder toute entrée en campagne, comme en atteste l’attente autour de la nomination du gouvernement d’Elisabeth Borne. Une tactique de “non-campagne”, proche de celle adoptée pour la présidentielle, qui explique une mobilisation moindre voire timide sur les canaux numériques.

« Bad buzz vs. Good buzz » : la politique à la recherche de viralité

Un élément marquant de cette campagne numérique des législatives a été l’activation des cellules de riposte formées pour l’élection présidentielle avec l’objectif de générer de la viralité autour de la propagande électorale de leur mouvement.

Du côté de la NUPES, c’est l’attaque contre le bilan du premier quinquennat d’Emmanuel Macron qui a été retenue, dans une volonté d’assumer la confrontation avec la majorité présidentielle et avec l’idée de s’affirmer en premier opposant au « macronisme ».

Plus surprenant, cette vidéo où le candidat-élu NUPES de la 2ème circonscription du Nord, qui était pressenti pour s’emparer de Beauvau en cas de victoire de son mouvement, diffuse sur son compte Twitter un remix de rap à son effigie. Preuve s’il en est que la stratégie du jeu avec les codes et de la parodie, si elle n’est pas nouvelle, a franchi une nouvelle étape, au croisement de plusieurs tendances.

La recherche d’une visibilité numérique facile peut cependant très rapidement virer au « bad buzz », à l’image du clip de campagne des « Jeunes avec Macron ! » diffusé le 15 juin et imaginant ce que serait la France si la NUPES venait à l’emporter aux élections législatives. Devenue immédiatement la risée des réseaux sociaux, la vidéo a été supprimée à la mi-journée.

Réseaux sociaux, l’arme fatale de la communication politique ?

Catalyseurs de la mobilisation citoyenne et de l’action politique, les réseaux sociaux ouvrent la voie à une nouvelle forme d’engagement et de participation tout en permettant d’atteindre directement son électorat à travers des messages spécifiques. La NUPES semble avoir clairement tiré son épingle du jeu en la matière, la forte mobilisation de son électorat sur les réseaux sociaux pouvant être associée dans les urnes à un accroissement du nombre de sièges de l’alliance au global.

A l’heure du bilan de ces élections, deux limites amènent néanmoins à tempérer ce diagnostic de toute puissance des réseaux sociaux en communication politique.

  • D’une part, l’espoir d’une mobilisation d’un électorat jeune via les canaux numériques semble toujours s’éloigner. Dimanche, ce sont 71% des 18-24 ans et 66% des 25-34 ans qui ne se sont pas déplacés pour voter, contre 69% sept jours plus tôt.
  • D’autre part, le score du Rassemblement National interroge : il est probablement la véritable surprise de ce scrutin législatif. Passé sous les radars d’une grande partie des projections, le parti de Marine Le Pen avait en effet opté pour une campagne plus confidentielle, plus éloignée des réseaux sociaux et souhaitée plus proche des électeurs sur le terrain.

S’ils constituent un formidable outil de mobilisation et amplificateur de messages, les réseaux sociaux semblent donc indissociables à une campagne de terrain. Face au phénomène d’infobésité et au sentiment de  méfiance généré par la prolifération des fake news dans l’espace numérique, la recherche d’un équilibre en campagne en ligne et sur le terrain pourrait s’avérer déterminante pour les résultats des élections à venir.

> Par Alexandre Oger, Consultant chez Antidox